Toussaint
« Quand d’octobre vient la fin, Toussaint est au matin ».
Record de l’évidence, ce dicton! Mais sait-on jamais ? Au milieu du fracas du monde et des ravages du réchauffement climatique, soyons rassurés: depuis quelques jours il fait un vrai temps de Toussaint. Ouf !
Toussaint 1887
Temps immobile comme disait Claude Mauriac: en 1887, selon le petit calendrier-réclame du dentiste Charles PROTOY la Toussaint tombait aussi un mercredi. Toujours soucieux de précision, Le Journal des débats a comptabilisé les entrées dans les cimetières . La tempête avait fait rage les jours précédents sur la côte de la Manche.Un classique en somme! Chacun selon son style tous les journaux y vont de leur récit . Prose mesurée
au Figaro pour énumèrer sobrement les dégâts, avec , quand même un final bien sanglant. Le journal des Débats ose le ton mélodramatique . Le Matin , déjà acquis à la modernité transcrit séchement les « dernières dépêches de la nuit » obtenues par tous les moyens de communication alors existants.
Pour les amateurs de palaces le Grand Hôtel propose un menu musical et
gastronomique roboratif capable de satisfaire sinon les mélomanes, du moins les appétits les plus exigeants. Vegans s’abstenir : pas moins de trois viandes à la file: bœuf, poulet, perdreaux .
Messe pontificale et vêpres pour la Toussaint, chasse républicaine à Marly : à chacun ses rites. En matière d’éducation Jules Lemaître se veut un gardien du temple rétif à toute innovation architecturale ou pédagogique. Dans sa chronique théâtrale du Journal des Débats, il s’en prend avec verve et férocité aux collégiens qu’on dorlote trop à son
gré Ils coulent leurs jours entourés de la plus furieuse sollicitude officielle qui se soit jamais vue . On prodigue des millions pour leur construire en bon air, à la campagne des lycées grandioses [...]aussi confortables, aussi astiqués et reluisants que les écuries de course d’un grand seigneur anglais. Il est vrai que nos jeunes totos se gardent bien d’y aller : c’est trop loin du boulevard où flambent les brasseries. Quatre pelés et un tondu baillent dans les hautes salles et sous les péristyles somptueux des lycées "nouveau modèle » et chaque élève de Janson de Sailly ou de Lakanal revient aussi cher à l’Etat que trois députés ( on a fait le calcul). L’Académie de Médecine s’en mêlant, il faut leur éviter le surmenage Ces galopins auront eu toutes les chances[… ]on les a d’abord dispensés de tous les exercices difficiles tels que le discours latin, les vers latins, le thème grec…. Et l’on vient d’inaugurer pour eux les matinées classiques : pour distraire leur généreuse oisiveté, on les conduit au théâtre. L’Odéon leur donne des matinées, où l’on doit représenter devant eux toutes les pièces qui sont au baccalauréat. On s’est dit »pauvres petits, ils vont se fatiguer si nous n’y veillons pas. Rendons-leur l’étude facile et attrayante. […]Eh bien ! Nous les ferons jouer devant eux par les comédiens et les comédiennes de la république.
31 octobre 1920
Signé H. de Montherlant un éditorial de l’Intransigeant retient l’attention. L’immense ossuaire qu’on connaît n’est encore qu’un projet. Les restes recueillis aux alentours sont regroupés comme on a pu dans un baraquement. Le maréchal Pétain vient de poser la première pierre du futur ossuaire au nom de L’Œuvre du Souvenir des défenseurs de Verdun pour laquelle il collecte partout des fonds. Henry de MONTHERLANT , jeune ancien combattant de 26 ans, secrétaire de l’association, entre en scène. En préambule à son appel de fonds, jouant les critiques littéraires, il se lançe dans l’éloge du style de son grand homme « Il y a quelques jours, à Douaumont, debout au bord d’un entonnoir, le maréchal Pétain décrivait la bataille de Verdun. Des phrases courtes coupées de pauses et qui commencent par une date, des chiffres. Rien que le geste de la canne pour désigner. Rien que le clignement des yeux, bien connu de ceux qui ont approché le chef dans l’action. Austérité sur cette terre austère, plus transportante que tous les lyrismes. Puis il parle du soldat –mais n’a-t-on pas chuchoté qu’il écrivait un livre sur le soldat ? La phrase est volontairement dépouillée. J’ai sous les yeux le texte original : « souvenirs
qui émeuvent le cœur » a été barré, remplacé par « souvenirs émouvants » ; « le succès est complété par une nouvelle offensive » est remplacé par la seule mention « nouvelle offensive » ; « nos hommes inlassables » est remplacé par « nos hommes », tout court. La guerre est une bonne école pour la littérature. L’une et l’autre sont l’art du sacrifice ». Les rescapés de la boucherie auront apprécié le parallèle.
1923 Autre Toussaint des années folles il y a cent ans pile. Les revues de music hall défraient la
chronique. Les trains de luxe pour la côte basque ou la côte d’azur sont en vogue. Mais entre internationalisme communiste et fascisme, c'est notre avenir qui se dessine, pour nous qui savons.
Toussaint 1943, vingt ans après, le Maréchal dans ses œuvres et dans ses pompes. Aux mesures d’épuration juive s’ajoutent pour faire bonne mesure des déchéances de nationalité. En France métropolitaine pour l’instant. Mais qu’en sera-t-il en
Algérie ?
Le Matin s’est lancée dans une collaboration totale qui lui permet de paraître sur 4 pages. Pour lui le Maroc et l’Algérie, et de Gaulle bien sûr sont aux mains des communistes. La vraie radio, c’est celle du Reich pour laquelle il n'hésite pas à faire de la réclame. Vie pratique et ravitaillement : la ménagère doit jongler avec les tickets de ravitaillement.Un tableau pédagogique l'y aidera, espère-t-on . De l’autre côté de la Méditerranée, on fait un triomphe à Marcel Cerdan et le discours du général de Gaulle pour les 60 ans de l’Alliance française occupe la Une ; ville après ville, à toute occasion on lève des fonds pour financer la "résistance" (on utilise parfois des guillemets). Ce vent de liberté, qui en a connaissance en France?