C A T H E R I N E T T E S
Coiffer Sainte Catherine. L’horreur autrefois ! Mais célibataires ou pas, de 25 ans passés ou non -dans la couture parisienne , la fête de la protectrice des jeunes filles était l’occasion pour les employé.es des grandes maisons comme des petits ateliers de s’amuser à confectionner des coiffures extravagantes , de se déguiser puis d’aller danser dans les bals organisés un peu partout.
Photo de presse de 1932 : une foule compacte, au pied d’une immense échelle ; là-haut
une catherinette reconnaissable à son chapeau démesuré coiffe - du moins se contente de fleurir-la statue de Ste Catherine nichée au coin de la rue de Cléry, dans le Sentier.
1923: mauvais temps général ; ambiance joyeuse néanmoins dans les bals organisés par les grandes maisons ou par la presse populaire . L' atmosphère de carnaval autorise tous les déguisements. Et le hasard du calendrier fait bien les choses . La Ste Catherine est inscrite pour aujourd’hui dimanche. Mais comme une « bonne Ste Catherine » ne se conçoit pas sans une fête à l’atelier, elle a commencé hier. Pour s’harmoniser peut-être à la couleur du bonnet des catherinettes [Jaune et vert, selon la tradition ndlr] le ciel s’était mis en jaune. À la vérité il avait mal choisi la nuance. Il était sale, fuligineux, un vrai brouillard digne de Londres[…]Vers midi, on commença de voir quelques-unes de ces catherinettes. Bras dessus bras dessous, par petits groupes rieurs, elles allaient emmitouflées, frappant
les trottoirs d’un pas sonore. Au-dessus de leur marche dansante, on n’apercevait, entre les bonnets légers et les cols de fourrure, qu’une ligne de petits nez rosis par le froid. Mais la plupart des catherinettes déjeunèrent hier dans leurs ateliers. Leur menu était corsé de quelques fines victuailles. Au dessert un doigt de champagne coula entre les lèvres des cousettes et des modistes, qui fêtaient les vingt-cinq ans de leurs compagnes. Des toasts ingénus ou moqueurs furent prononcés. On rit beaucoup. Et l’écho de ces rires suffit à dégeler un peu l’atmosphère de Paris. Le récit du Petit Journal de la fête organisée dans ses locaux se teinte évidemment d'une condescendance identique mal tolérée de nos jours. Mais les petites ouvrières sont des filles
délurées , des esprits libres : la guerre est passée par là. Une ancienne infirmière acrobate fait la une du Petit Journal illustré ; les rubriques sportives s’enrichissent - non sans remarques fines, de manifestations féminines de basket, de football et de hockey . Bientôt à grands coups de ciseaux dans les robes et les cheveux, la garçonne va s'imposer.
1943. Vingt après, le cœur n’y est plu. Le couvre-feu, les pénuries en tout genre ont tué l’esprit festif. Fuyez Paris si vous pouvez conseille le premier magistrat de la capitale. Le Goncourt sera-t-il décerné cette année ? « L’agitation terroriste » enfle dans les prisons reconnaît Paris-Soir mais le chantre de la
collaboration se fait un devoir de rendre compte de ces manifestations d’une tradition corporatiste bon enfant, quitte à un carambolage avec une actualité brutale, l’attentat contre un collaborateur notoire . Faire comme si… Distiller une recette de gigot à la poitevine dont chaque mot est un crève-cœur : « un gigot pas trop long » à faire revenir au BEURRE, sur un feu vif - quand le charbon manque- Cuisez
pendant six heures ‘à feu très doux sans laisser échapper de vapeur ». Magie incantatoire des mots d'une recette. A la première page du Grand Écho du Nord de la France -un simple recto-verso- les deux catherinettes sont bien seules à sourire, perdues au milieu de gros titres désastreux, aussi bien sur le front des opérations que dans la vie quotidienne: « la juste cause des fumeurs » ose-t-on s’insurger contre l’absence de double ration de tabac pour Noël (c’était bien avant la loi Evin !) . Au Maroc, pas un mot des catherinettes à la Une de la Vigie mais une photo du général de Gaulle en plein effet
oratoire au milieu de titres célébrant les avancées alliées et le bombardement de Berlin. les manifestations sportives font de la résistance. La Victoire est à portée de main... enfin presque.
En tout cas vivent les Catherinettes et bonne fête à toutes les filles ; les garçons attendront la St Nicolas.
Un peu vieux jeu tout ça, n'est-ce pas ?