drôles de saints
1er Novembre
Au hasard (presque)
1er novembre 1970. Le cinq-sept brûle. Les plus anciens s’en souviennent-ils ? C’est le nom d’une boîte de nuit de l’Isère. Cent quarante-neuf morts. Quand même.
1er novembre 1954.
On ne le savait pas : c’était le début de la guerre d’Algérie. Et l’émergence d’un mouvement inconnu, le FLN. Les fils de la Toussaint, selon le titre du livre d’Yves Courrière, le premier à avoir travaillé sur « les événements ». Ce jour est désormais jour de fête nationale en Algérie. Huit ans de déchirure en France, de bouleversements intimes rarement étalés au grand jour. Sursitaire, j’aurais dû partir en 1962 mais les accords d’Évian me sauvèrent la mise.
Deux cents ans en arrière. 1er novembre 1755. Tremblement de terre de
Lisbonne , d’amplitude 9 estime-t-on aujourd’hui, suivi d’un tsunami et d’incendies qui durèrent cinq jours. D'immenses vagues destructrices atteignirent en réponse tous les bords de l’Atlantique, de l’Afrique du Nord, à la Martinique et jusqu'à la Finlande, au fond de sa Baltique. À Lisbonne même, entre 60000 et 100000 morts. Destructions des bâtiments les plus prestigieux, des églises, des bibliothèques, des archives du royaume -dont les comptes rendus des grandes explorations passées. Pour le Portugal, c'est la fin de l’âge d’or. D'aucuns pensent que l’impact sur les consciences de l’époque fut comparable à celui de la Shoah sur nous. En plein éveil des Lumières se multiplient les interrogations métaphysiques sur le sens d’une pareille catastrophe, sur la place du Mal dans le plan du Créateur. Chaque année, je faisais étudier en première des extraits du poème de Voltaire, un des rares exemples de poésie philosophique, surtout en un siècle si dénué de sens poétique. À l’ordinaire plus versificateur que créateur inspiré, l’angoisse sincère arrache à Voltaire des accents déchirants. ( On dirait du Lagarde & Michard, non?)
1er novembre 1950.
Maintenant qu’on m’en parle, je m’en souviens : Pie XII avait décrété 1950 année mariale afin d’offrir un bel emballage à l’Assomption de la Vierge que fort de son infaillibilité papale, il avait érigé en dogme . Pour être un bon catholique, il fallait croire qu’elle était montée au Ciel et comme corps et comme âme sans subir la corruption charnelle. À la maison on était œcuménique : étaient punaisées côte à côte deux pages de la Voix du Nord (ou de Nord-Matin, peut-être, son rival socialiste) Pie XII proclamant 1950 année mariale et le portrait de Léon Blum grand format. Blum, soit : dans la famille on était de fervents SFIO mais pourquoi cette année-là ? Renseignements pris à l’instant, il était mort le 30 mars.
Tiens, au petit jeu des « je me souviens » à la Perec, me revient à l'esprit la journée de deuil national décrétée pour l’enterrement du général Leclerc. Sa photo parue en Une - un poster avant la lettre- avait aussi été punaisée sur un mur de la maison Cité des marronniers,
308bis. Mon informateur habituel me souffle que c’était le 8 décembre 1947. Je me souviens surtout être resté à la maison car il n’y avait pas eu école. Son avion s’était écrasé près de Colomb-Béchar le 28 novembre . Il était né le 22 novembre 1902. Après la stupeur et l’affliction, des rumeurs de complot accompagnèrent longtemps la disparition du libérateur de Paris et de Strasbourg, un héros aussi populaire à gauche qu’à droite, surtout en Artois dont il était originaire, et malgré un passé maurassien avec lequel il avait rompu dès 1940.
1er novembre 1179 : On remonte le temps à grande allure. Philippe -Auguste est sacré roi de France à Reims. Pourquoi mon site de base retient-il cette date ? Pas de quoi fouetter un chat : ce n’est ni le premier ni le dernier sacre à Reims. On reste en famille : son oncle lui donne l’onction ecclésiastique. Plus singulier : le surnom d’icelui : Guillaume aux blanches mains. N’aurait-il pas eu par hasard un concurrent, Guillaume le Blond ? On aurait rejoué façon Jean Genet la rivalité autour de Tristan entre la légitime (et traîtresse) Yseut aux blanches mains et la seule aimée, Yseut la Blonde.
1er novembre 1908. Naissance d’Alexandre CHAZEAUX, « homme politique français » décédé en 2001. J’en demande pardon à sa famille, mais pour moi qui m’intéresse à la vie politique depuis l’Express de Servan-Schreiber et Françoise Giroud, Chazeaux est un inconnu parfait. Allons aux nouvelles. Il a été essentiellement actif à Marseille et dans les années cinquante. Un ancrage régional dans les rangs du MRP. J’aurais appris quelque chose. Le MAITRON, vous en dira bien plus, et mieux que moi.
Et maintenant, deux morts. Guillaume DURAND écrivain … et évêque. Diable ! Mais en 1296. C’était pour rire. Un grand personnage cependant, évêque de Mende - avant même d’être prêtre mais dans la famille on est évêque d’oncle en neveu. Il ferraille contre les barons de la région et réussit à devenir comte du Gévaudan ; il participe à l’affaiblissement des Templiers, propose au Concile de Vienne le mariage des prêtres. Sur la route pour préparer une Croisade qui n’aura jamais lieu, il meurt à Nicosie en 1330. L’église et le tombeau où il reposait furent détruits au XVIe siècle. Ne reste qu’un gisant de deux mètres visible à Toulouse. « Écrivain » dit ma source. Bizarre qualification. Théologien tout simplement ou "comment rater à moitié tout ce qu'on entreprend".
Mort aussi de Jules Romain, mais pas l’académicien Jules ROMAINS,
Farigoule de son vrai nom et mort en 1972 - je parle du peintre, décédé en 1596.
On fête tous les saints bien sûr, mais plus particulièrement Spinule ainsi que Gralon. Pensez à eux si vous en avez dans vos connaissances. Ne pas oublier Primitif et Facond deux martyrs du côté de Salamanque. J’ignore si des espagnols d’aujourd’hui se réclament de leur patronage. Vous aurez aussi deux Césaire pour le prix d’un, un martyr sous Trajan vers 110, le 22ème évêque de Clermont d’Auvergne mort en 627. Ajouter Côme et Damien, des jumeaux que les orthodoxes fêtent le 1er novembre. Deux anargyres m’apprend-on. Des anargyres? Des derviches qui tournent de façon anarchique ? « Meuh non » comme dirait Gaston Lagaffe. La bonne coupe n’est pas anar-gyrios mais an-argyrios qui signifie « sans argent » en grec byzantin : ils ne se faisaient pas payer. Et pan sur le bec ! Comme si l’existence de cette paire de martyrs sous Dioclétien ne suffisait pas, histoire de brouiller inutilement les pistes, les diverses églises reconnaissent deux autres couples de jumeaux qui ont la
même profession. Et fêtés à des dates différentes. Mais tous ces clones protègent médecins et/ou pharmaciens. Éclectisme ou ambivalence des symboles : au Brésil, ils sont protecteurs des enfants : le jour de la fête (le 27 septembre), on leur distribue des paquets de bonbons imprimés à l’effigie des jumeaux. Pour les habitants d’Isernia près de Naples apparemment obsédés par l’impuissance mais d’imagination fertile, ce sont des saints phalliques qu’on invoque pour des problèmes de fertilité – parce qu’ils sont jumeaux ? Phalliques vraiment nos deux savants engoncés dans leurs simarres jaune et rouge ??
On n’aura garde de laisser de côté les Éponine. Personnellement, comme beaucoup d’entre vous, je ne connais que la fille des Thénardier, la sœur de Gavroche, amoureuse de Marius « une rose dans la misère », selon l’intitulé trouvé par le grand Victor pour un chapitre. Cinq Éponine recensées en 2018. Les porteuses antérieures qui savent déjà écrire sont très satisfaites. Ainsi Epaty : je vous livre un copier-coller de son message : Je m'appelle Eponine et je suis fière de portée ce jolie prénom peut commun. On le complimente régulierement et je ne changerais pour rien au monde! Elle semble aussi très contente de son orthographe…
Une autre femme attire mon attention, - l’unique en fait, dans toutes ces listes commémoratives, à se distinguer par son œuvre et non par sa seule mort.
Marie-Gabrielle CAPET née le 6 septembre 1761, décédée le 1er novembre 1818. Une aristocrate ? Une parente de Louis Capet et de Marie-Antoinette, la Veuve CAPET ? Fausse route totale. C’est son vrai patronyme. Elle est fille d’un domestique et d’une servante de la région lyonnaise. On ignore, selon mon informateur favori, comment à Lyon elle eut la possibilité de faire fructifier son talent et de devenir une de ces peintres du XVIIIème siècle qu’on se met à (re)découvrir : en 1791 elle fait partie des 21 femmes peintres qui exposent pour la première fois au salon du Louvre. Façon Vigée-Lebrun en plus modeste. Je ne vois qu’un scénario possible : elle est la fille naturelle d’un aristocrate ou d'un riche soyeux lyonnais ; il reconnaît ses dons, favorise ses premiers pas. Sans un efficace coup de pouce, difficile d’ expliquer qu’à l’âge de 20 ans, déjà lestée d'un sérieux bagage artistique, elle ait pu monter à Paris, devenir l’élève puis l’assistante, et la fille adoptive d’une pastelliste très en vogue Adélaïde LABILLE-GUIARD. Des appuis et son talent éclatant lui procurent une clientèle intéressante: la femme de l’intendant de Fontainebleau, le supérieur général de l’Oratoire, des fillles de Louis XV.
Durant la Révolution, elle passe au travers des gouttes et gagne sa vie en se spécialisant dans la miniature (comme le père de Baudelaire, prêtre défroqué et précepteur). Elle meurt le 1er novembre 1818, ayant cessé de peindre depuis plusieurs années. Voilà un personnage dont les années d'apprentissage méritent d’être sorties de l’oubli.. Elle est
enterrée au Père-Lachaise. Je serais curieux de savoir si sa tombe est encore visible. Un agréable but de promenade, en ce jour où le cimetière parisien éclate de beauté. Té ! À peine ai-je écrit cette phrase qu’en cliquant légèrement sur mon écran, je découvre la tombe (division 11 chemin Mélul). Trop fort.
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Poème sur le tremblement de terre de Lisbonne .1756
Ô malheureux mortels ! ô terre déplorable !
Ô de tous les mortels assemblage effroyable !
D'inutiles douleurs éternel entretien !
Philosophes trompés qui criez: « Tout est bien »,
Accourez, contemplez ces ruines affreuses,
Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses,
Ces femmes, ces enfants l'un sur l'autre entassés,
Sous ces marbres rompus ces membres dispersés ;
Cent mille infortunés que la terre dévore,
Qui, sanglants, déchirés, et palpitants encore,
Enterrés sous leurs toits, terminent sans secours
Dans l'horreur des tourments leurs lamentables jours !
Aux cris demi-formés de leurs voix expirantes,
Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,
Direz-vous : « C'est l'effet des éternelles lois
Qui d'un Dieu libre et bon nécessitent le choix » ?
Direz-vous, en voyant cet amas de victimes :
« Dieu s'est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes » ?
Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants
Sur le sein maternel écrasés et sanglants ?
Lisbonne, qui n'est plus, eut-elle plus de vices
Que Londres, que Paris, plongés dans les délices ?
Lisbonne est abîmée, et l'on danse à Paris.
Tranquilles spectateurs, intrépides esprits,
De vos frères mourants contemplant les naufrages,
Vous recherchez en paix les causes des orages :
Mais du sort ennemi quand vous sentez les coups,
Devenus plus humains, vous pleurez comme nous.
Croyez-moi, quand la terre entrouvre ses abîmes
Ma plainte est innocente et mes cris légitimes.
On trouvera l’original dans Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5727289v/f17.item.zoom
Sur Marie Gabrielle CAPET : http://www.femmespeintres.net/peintres/hist/capet.htm
http://www.artnet.fr/artistes/marie-gabrielle-capet/
http://www.pastellists.com/Articles/Capet.pdf