21 mai 2020 Ascension
Usque non ascendam ? Devise avisée pour Jésus - et pour la France des travailleuses- travailleurs chère au cœur d’Arlette : on arrive d’ ordinaire à se bricoler avec un peu de chance un joli pont printanier mais le (dé)confinement surveillé rend l’exercice aléatoire. Raté royal pour Fouquet lorsqu’il s’offre les services d’un latiniste pour cet ambitieux programme : à trop s’identifier à l’écureuil ivre de monter, monter, monter, il en attrapa un vilain coup de (Roi) Soleil.
On fête les Constantin, les Gisèle aussi – c’était la sœur de Charlemagne. Dans le Nord, allez savoir pourquoi, Gisèle se nomme aussi Isbergue. Un vrai glaçon, décidée à se consacrer à Dieu. Soutenue dans ses pieuses intentions par Saint Venant, une célébrité religieuse régionale, elle refuse d’être un instrument diplomatique et dit non aux meilleurs partis que lui choisit son impérial frère : l’empereur Constantin Copronyme (je recopie…), le roi des Lombards. On fait disparaître Saint Venant, tête décidément trop peu politique. Sur le lieu de sa mort Isbergue-Giselle décide de se construire un ermitage, près d’Aire-sur-la-Lys dans le Pas-de-Calais. Elle vécut trente ans dans cet endroit qui donna son nom au village d’Isbergues. Vous ne risquez pas de rencontrer beaucoup d’Isbergue : entre 1900 et 1940 le prénom fut donné six fois. Un pur A.O.C. avant la lettre: dans la base de Geneanet entre 1600 et 1900 la sœur de Charlemagne obtient des scores insoupçonnés à Aire-sur-la-Lys: 700 porteuses à Aire-sur-la-Lys, à Isbergues 1237, 578 à Béthune. J’en ai personnellement rencontré deux aux environs d’Arras vers 1700.
En ce 21 mai, je fêterai pour ma part un couple : Zéphirin DRUGY et Marie Élisabeth THUILLOT. 21 ans tous les deux. Ils se marient à Arras le 21 mai 1839. Un mardi. Voilà qui nous change des mariages campagnards ? C’est vite dit. Aucun n’est originaire de la capitale de l’Artois: elle est dentellière, née à Rocquigny au sud de Bapaume, à quelques pas de la frontière avec la Somme et l’ancienne Picardie. Lui est commissionnaire aux diligences, un homme à tout faire chez un des nombreux voituriers implantés dans la préfecture du Pas-de-Calais. Il porte un nom qui m’est familier mais je n’arrive pas à faire le lien avec « mes » DRUGY originaires de Bucquoy. Patience. Le berceau de cette branche paraît être un petit village, Hénin-sur-Cojeul établi au bord du Cojeul, qui prend justement sa source à Bucquoy et se jette après 26 kilomètres sinueux dans la Sensée, affluent de l’Escaut.
La dentellière travaille chez elle pour un grossiste mais la production
manuelle locale standardisée est fortement concurrencée par la dentelle mécanique du Calaisis moins chère et plus diversifiée. Le gros de sa famille est installé à deux pas, dans le département voisin de la Somme à Mesnil-en-Arrouaise et les villages aux alentours. Son grand-père, son oncle étaient cordonniers. Sa tante est mariée à un charpentier. Ses parents ? Père inconnu, mère décédée à 23 ans un an après l’avoir mise au monde. Quand elle se marie, ses grands- parents qui l’ont élevée sont décédés depuis quatre ans. Sortons les mouchoirs. Elle vit à Rocquigny chez sa tante, une situation qui ne saurait s’éterniser. Rocquigny, Hénin-sur-Cojeul ne sont pas bien éloignés mais si ces deux-là se sont trouvés, ce serait plutôt à Arras: par exemple elle travaille dans une maison du quartier où s’emploie Zéphirin ou bien dans le cadre du travail de ce dernier : dans ses déplacements sur des lignes de diligence vers Péronne ou Cambrai peut-être passe-t-il plus d’une fois par Rocquigny où Marie Élisabeth, sur le pas de sa porte ou près de sa fenêtre s’applique à sa dentelle et nourrit des rêves d’évasion. Les mystères de l’amour…
Je ne suis pas tombé tout de suite sur ce couple que je mets à l’honneur aujourd’hui. Je dois à une combinaison de hasards ma trouvaille Zéphirin, ou pour respecter l’ordre chronologique de mes découvertes, celle de son fils. Hasard relatif : qu’un DRUGY me passe sous les yeux, je suis preneur car le nom est très rare et le porteur a toutes les chances d’appartenir à ma famille. Ajouté à cela un joli coup de baguette magique de la bonne fée du Web : des généanautes ont eu l’idée de relever au fil de leurs recherches les émigrés en Saône et Loire qu'attirait l’industrie minière et métallurgique. Sans ces passionnés, comment avoir connaissance du mariage à Gueunon le 25 mai 1869 d’un natif d’Arras, Hippolyte Séraphin DRUGY. Y épouse-t-il une fille de là-bas ? Pas du tout : l’élue Flore Élise HUBERT est une payse. Elle est domestique au château de La Faye ; il est serrurier. Coïncidence, vraiment ? Les forges de Gueunon, renommées à l’époque ont été créées au XVIIIe siècle par le marquis Fay de la Tour Maubourg. Notre « serrurier », métallurgiste (et pas seulement spécialisé dans la serrure) n’est pas venu à Gueunon par simple goût du tourisme: on peut imaginer un tour de France de compagnonnage s’appuyant sur un réseau de maîtres de forge. En ce milieu du XIXe siècle, dans l’industrie métallurgique, Arras tient une place discrète mais réelle cependant que les usines de Gueunon connaissent la prospérité sous la direction des Campionnet qui ont repris l’affaire. Quant à Flore HUBERT, sa présence à Marly-sur-Arroux, au château de la grande Faye relève d’un scénario imprévisible. Peut-être par une filière d’embauche de domesticité dans le milieu restreint des
maîtres de forge ?
Vingt-neuf ans chacun : il est temps de fonder une famille. Mariage donc - sans que la perspective d’une grossesse précipite l’événement. Les quatre témoins appartiennent au personnel du château : un garde de bois, deux jardiniers, un cocher. Son futur n’est pas suffisamment intime avec ses compagnons de travail pour en trouver un seul digne d’être son témoin. Gueunon pour ces chtis était une parenthèse, une aberration : le couple aussitôt se rapatrie à Arras, dans le Faubourg St Sauveur, quartier populaire où existe déjà une industrie métallurgique.
Grâce aux archives numérisées, remonter aux parents d’Hippolyte DRUGY fut jeu d’enfant même en période de confinement. Ils s’étaient mariés trente ans avant presque jour pour jour, ce fameux 21 mai objet de mon billet, réunissant leurs misères pour se créer un avenir. Élisabeth se présente sans personne de la famille pour l’assister. Lui est accompagné de sa mère, Emérantienne « lessiveuse » (ouvrière blanchisseuse), mais nul ne sait où demeure son père ni même s’il est décédé. Ce père évanoui dans la nature était rémouleur, comme le grand-père : une activité nomade organisée en tournées saisonnières, propice à toutes les aventures et mésaventures. Les témoins sont ses compagnons de travail comme le garçon d’écurie, de son dépôt de diligences sans doute, des connaissances du quartier un peintre en bâtiment, un coiffeur et le cabaretier, tous choisis pour leurs liens d’amitié mais aussi pour savoir écrire, car les deux futurs sont illettrés. Ils vont avoir trois enfants : Hippolyte, retrouvé comme on a vu plus haut, une fille, Adélaïde, qui vit cinq heures et Jules Augustin, tailleur d’habits. Durant ces années, ils demeurent à Arras rue Ernestale, l’artère principale. Zéphirin meurt à 48 ans 7, impasse du Vieux Tripot, (qui donne sur la grand Place), décès déclaré par le cadet Jules Augustin et un ami ébéniste. J’ignore pour l’instant ce qu’il advient ensuite de lui et de sa mère Élisabeth. Je sais que le ménage Hippolyte DRUGY et Flore HUBERT aura deux
garçons, deux blonds aux yeux bleus comme beaucoup de DRUGY, aux parcours agités que les dossiers militaires retranscrivent fidèlement : Georges Séraphin ( 1870- après 1918) employé aux écritures, puis à la Compagnie du gaz d’Arras, marié à Somain dans le Nord puis remarié à Arras, et un autre, Grégoire Anatole né en 1872 engagé volontaire dans les chasseurs d’Afrique à cheval tête brûlée rétrogradé pour inconduite et désertion puis réintégré , devenu employé aux chemins de fer de l’Est, fait prisonnier et interné en Allemagne, et décédé à Nancy à 87 ans.
On aura vu du pays, largement au-delà des cent kilomètres autorisés. Et ce n’est pas fini.
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Annuaire des diligences « code des maîtres de postes 1827