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terresdartois
3 avril 2019

Poisson d'avril

Poisson d’avril !

                       

1er avril c post

Pauvre Zéphyr François DRUGY. Il était né un 1er avril, en 1860. Il aurait bien eu besoin de recevoir ce gage de chance  au moins une fois dans sa courte vie.   

Comme souvent  pour ce blog, j’ai laissé le hasard « choisir »  ma victime: cherchant les natifs du 1er avril je tombe sur lui et une Joséphine Françoise DRUGY. Chouette, des jumeaux ! Vérification faite, j’ai fait naître cette Joséphine dans  un moment d’aberration. État second ? Fumage avancé de moquette ? Quoi qu’il en soit, j’ai eu beau chercher,  impossible de trouver confirmation de sa date de naissance ou d’une

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filiation.

      Exeunt  les jumeaux.  Poisson d’avril ?  Reste  un Zéphyr François, dûment répertorié : c’est le frère de mon arrière-grand-père Jonas Siméon DRUGY, connu dès l’enfance  comme Léonard et dont j’ai raconté ailleurs la fin stupide en 1916, à soixante ans. Ils ont une sœur, Sidonie Henriette. Les DRUGY sont originaires de Bucquoy  et de Foncquevillers. Dans ces contrées, paysages, chemins, maisons, rien ne subsiste du cadre passé des  travaux et des jours. La cause ? La Guerre. Trois guerres : 1870, 1914-1918, 1940-1945. Restent les cartes postales.

blt rue de la gare

Depuis plusieurs générations, les DRUGY ou leurs alliés sont tisserand, faiseur de bas, fileuse pour les femmes tout en vivant du produit d’une petite ferme.   Tout ceci est assez banal. Ce qui l’est moins, c’est le choix des prénoms à partir de Siméon lui-

drugy siméon arbre

même : jusqu’alors, on avait puisé dans le stock ordinaire mais  Pierre Augustin DRUGY et sa femme Marie Barbe LEROY jettent leur dévolu sur des Siméon, Nazaire, Adélaïde  à côté d’Augustin, ou d’Elizabeth plutôt passe-partout. Soif de distinction chez l’ancien maréchal des logis de cuirassiers redevenu dans le civil tisserand et qui finira chiffonnier , faisant sa tournée ( peut-être su un' carett' à quien (une charette à chien) de vieux chiffons  et de peaux de lapins !  Siméon son fils  n’hésite pas :   avec sa femme  aux  prénoms impressionnants  - Fortunée, Victoire,  ils affublent leur aîné d’un Jonas rarissime, remplacé dans la vie courante par un Léonard à peine moins discret. Le choix  de Sidonie, pour la fille, est moins original. Quant à Zéphyr, il jouit d’une certaine faveur dans   la deuxième moitié du XIXe siècle.

           Zéphyr François est déclaré bon pour le service. Il a de l’instruction, comme son frère et sa sœur. Il est petit : 1, 56 m. Un blond aux yeux bleus. Faire son régiment à l’époque marque un homme : cinq ans - qu'il passe à Paris  au fort de Vincennes sans doute-dans  la 22éme section de commis et

drg 1880 doss matric a

drg 1889 M x dégez signat dégez mélina

drg 1889 M x dégez tsignat zéphyrouvriers militaires d’administration. Qui sont-ce ces C.O.A. ?  Ils travaillent à l’intendance, aux écritures,  au ravitaillement,  aux équipages.  La 22ème section est attachée au gouvernement militaire de la capitale.  Au regard de son niveau d’instruction, il a sans doute  travaillé dans les bureaux.   Malgré ce long séjour  à Paris, hors deux  périodes d’un mois en 1887 et 1889, il retourne au pays : à Foncquevillers chez ses parents puis  en 1890 à Bailleulmont, à une quinzaine de kilomètres. Pourquoi là? Il s’y est marié et établi, enfin – à 29 ans. Son frère  aîné Léonard encore moins  pressé  de « faire une fin » attend  ses 35 ans pour lier son destin à une  « jeunesse »     de 37 ans.  Leur sœur Sidonie les a largement devancés : à 20 ans, elle épousait  son Jules -DEMAZURE, un quasi trentenaire.

          L’élue de Zéphyr-François  est native de Bailleulmont. Un beau parti : c’est la fille du meunier DÉGEZ.

blt moulin

L’héritière plutôt car il est décédé depuis 8 ans. Les fils Augustin et Camille s’occupent  du moulin qui, miraculeusement rescapé de la guerre 14,  reprendra du service pendant la seconde guerre mondiale.  Un troisième fils est cabaretier. Les deux filles Mélina Aimée et Zulmée (on raffole  décidément des prénoms rares !) vivent avec leur mère des revenus d’une ferme. Elles habitent sur la place. Le nouveau marié  s’installe chez elles et prend sans doute la direction de l’exploitation. Un régisseur-maison en somme. Six ans après, en 1896, l’ectoplasme ZedeF disparaît vraiment du paysage : il meurt.  La matriarche et ses filles (car Zulmée en dépit de  - ou à cause de son superbe prénom – n’a pas trouvé chaussure à son pied) habitent toujours la maison de famille  et touchent  les revenus de leurs biens. En 1911,  les deux sœurs, leur mère disparue, ont à leur service une gamine de l’Assistance Publique de Paris née en 1896 (c’est  justement année du décès de Zéphyr-François).  Mélina Aimée  « propriétaire cultivatrice »  meurt en 1913, à cinquante ans. Impossible  pour l’instant de trouver où et quand est décédée Zulmée. 

   Quant à la « pièce rapportée », le pauvre Zéphyr François, a-t-il seulement pu exister dans un village où le meunier et sa famille sont des notabilités, dans une maison régentée par sa belle-mère? De quelle légitimité pouvait-il jouir quand son  union avec la fille du meunier était restée stérile ? Et que lui est-il arrivé pour qu’il meure en un lieu improbable : Marquette-lez-Lille, dont, par chance il est fait mention dans son dossier militaire?     

        14 février 1896 11h du matin par devant nous Michel Dillis maire de Marquette. Ont comparu Francisque Hudot 56 ans  et Séraphin Payen 36 ans employés demeurant en cette commune, voisins du défunt, lesquels nous ont déclaré que

- Zéphir François DRUGY cultivateur 35 ans 11 mois né à Foncquevillers (Pas-de-Calais) domicilié à Bailleulmont  époux de Mélina Aimée Dégez, fils de Siméon et de Fortunée Dersigny ( sans autre renseignement) est décédé en la maison qu'l habitait sise route d'Ypres en cette commune hier à dix heures du soir. Les témoins ont déclaré ne savoir signer [AD 59 Marquette 1884-99 vue 586 N° 19/ Bailleulmont 1893-1902 vue 58]

     Séparation  déguisée ? Mais pourquoi chercher refuge  dans ce village proche de Lille? Je ne vois qu’une explication: à cette époque Marquette  est connu pour abriter une maison pour aliénés, Lommelet fondé  en 1826 par l’ordre des frères de St Jean de Dieu.  Zéphyr-François  malade mental ? Soit  mais pourquoi aller si loin, alors que dans le Pas-de-Calais, existait  à St Venant une maison créée par le Conseil Général ?  Réponse : St Venant accueillait les femmes et les enfants ;  à Lommelet, des places étaient réservées pour les aliénés  du Pas-de-Calais. Seront plus tard accueillis ceux de l’Aisne puis de la Somme en attendant que ces départements se                         dotent des structures adéquates. Un rapport de 1851 décrit ainsi Lommelet :     L’asile est situé à 400 mètres environ de la route nationale à laquelle il est relié par un petit chemin pavé. Le
bâtiment principal, parallèle à la grande route, orienté sud-sud-est, a la

lommelet entrée cart post


forme d’un vaste quadrilatère divisé en deux par le milieu. La partie droite,
qui peut accueillir cinquante pensionnaires, est réservée aux pensionnaires de
« la classe bourgeoise » (50 places). Elle comprend trois réfectoires,
correspondant aux différents prix de pension, une salle de lecture et de jeux
de société, avec un billard. Une vaste cour, plantée d’arbres et ornées de
plates-bandes de fleurs et d’arbustes, y est attenante. La partie gauche
comporte une salle pour les patients de la « classe ouvrière » (17 places) et
une pièce beaucoup plus grande pour les malades du Pas de Calais placés d’office
(80 places). […] Au premier étage, on trouve à l’extrémité droite, les chambres
particulières destinées aux pensionnaires des deux

    

 

lommelet cour princip 1914

premières catégories, puis deux grands dortoirs de 20 lits chacun pour les malades issus de la classe ouvrière et de la dernière catégorie bourgeoise. À l’extrémité gauche se trouve l’infirmerie, composée de deux salles de 10 lits chacune. Au deuxième étage à droite, au-dessus des chambres du premier, on retrouve un nouveau quartier de 20 chambres pour les malades aisés, et à gauche, deux dortoirs de 20/24 lits chacun, pour les patients placés d’office.

On compte aussi une chapelle, une ferme où des patients travaillent aux champs. Le château initial qui subsiste abrite outre buanderies et cuisines,  plusieurs chambres et un vaste dortoir.  L’hôpital accueille six cents pensionnaires en 1865. Cette année-là,  un médecin visiteur se montre assez critique  sur la conception architecturale  mais loue le dévouement du personnel et les nombreuses activités ludiques et laborieuses offertes:

         Au bout de la rue Royale [à Lille], passé le pont levis de la porte Saint André, pris à droite la route sinueuse d’Ypres que traversent le railway et le canal de la haute Deûle, on arrive au village, où se trouve sur la gauche, un monument de briques rouges.  La continuité de ses bâtiments, la lourdeur de ses constructions, l’élévation de ses murs, et sa rectitude mathématique lui impriment un aspect par trop nosocomial [c’est-à-dire « hospitalier » ; « carcéral » correspondrait mieux aujourd’hui à son intention]. Tout au long des dernières années du XIXe siècle, on ne cesse de bâtir : moulin, nouvelle ferme moderne, ateliers du bâtiment, lieux d'accueil pour  les pensionnaires aisés. L’établissement a une excellente réputation pour la qualité de ses soins.

         Je reviens à l’acte de décès ,  superbe démonstration d'hypocrisie ( ou , au fond de délicatesse?): cette « maison  sise  route d’Ypres », ce lieu non nommé, (innommable  sinon par un euphémisme dérisoire?) ne sont  (j’en suis convaincu) rien d’autre que  la maison de santé de Lommelet,  et ces « employés » illettrés, ses « voisins »  (sic) les domestiques  ou hommes de charge de l’établissement. Reste à savoir si Zéphyr a été admis  dans les dortoirs comme nécessiteux du Pas-de-Calais ou a eu le statut de pensionnaire payant. Autre scénario, peu probable à vrai dire: il n’a été qu’un patient « de jour » et la famille  aurait  loué pour lui ce pied-à-terre. Questions primordiales : quand  fut-il admis là ? Pas avant 1891 car à cette date il est encore recensé à Bailleulmont. Quelle était la nature de ses troubles ?  De quelle maladie est-il décédé aussi précocement?  Les archives de l’hôpital pourraient donner une réponse, à moins qu’elles n’aient été perdues car l’occupation des lieux par les allemands en 14 puis en 40 fit des dégâts considérables. Quoi qu’il en soit, il est mort seul, loin de sa famille.  Triste fin, cruel  poisson d’avril !

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poiss ménage

Complément sur  Lommelet :

https://www.epsm-al.fr/index.php/article/lhistoire-de-lepsm-de-lagglomeration-lilloise

https://www.epsm-al.fr/sites/default/files/structures/publication-Lommelet-1825-2013-2%C3%A8me-edition-epsmal.pdf

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