1er février. Gabelous de l'Authie
Au sommaire :
-Saint.e.s du jour
-anniversaires
-Gabelous de la Côte d’Opale
Le 1er février, c’est la Sainte ELLA.
Une sainte anglaise, la belle-sœur de Richard Cœur de Lion, dotée d’un mari volage, Guillaume Longespée. Cela suffirait-il pour accéder à la sainteté ? Devenue veuve, elle fonde un monastère d’augustines dont elle est abbesse. On a vu pire comme martyre. C’est surtout un prénom anglais et chacun a en tête Ella Fitzgerald. L’arrivée d’ELLA au calendrier catholique des saints ne date que du pontificat de Jean-Paul II. Depuis des siècles, on fêtait les IGNACE, en souvenir d’Ignace d’Antioche dont nul ne connaît le martyre qu’il eut à subir sous Trajan. À tout hasard un peintre d’icônes l’a montré déchiré par des lions. Du moins a-t-il laissé un dicton façon « roule ma poule »: à la St Ignace, l’eau est de glace. Raté pour cette année! Et puisque c’est la veille de la Chandeleur, on ne saurait trop souligner la vertu prophétique absolue du fameux à la Chandeleur l’hiver se meurt ou prend vigueur.
Nés un premier février
Clark GABLE (1901), un fameux séducteur au cinéma et dans la vie . Pas très raffiné à ce qu’on dit. Derrière sa fine moustache et ses dents entièrement refaites sur ordre des studios, sommeillait un sacré gros pourceau.
Claude FRANÇOIS (1939) Ah ! Alexandrie Alexandra. Des paroles surréalistes dues à Roda-Gil, un rythme de feu qui me donne toujours la chair de poule. Pour mon départ en retraite du lycée Rodin ( vingt ans de maison ça compte), des collègues allumées, au courant de mon goût dépravé, ont imaginé sur la chanson en play back le ballet des rodinettes (jupette blanche et couettes) conclu par un lancer de petites culottes Petit Bateau dans la salle...
Mike BRANT (1947) chanteur pour minettes, au destin tragique.
1er février 1954. Hiver terrible : à Dunkerque, la mer du Nord ressemble à la banquise. Dans les bidonvilles comme celui de Nanterre, on est à la peine. Des sans abris meurent. Sur Radio-Luxembourg, l’abbé Pierre, déjà fondateur d’Emmaüs, lance son fameux appel « mes amis au secours… » Les dons déferlent en masse.
1er février 1920. La grande presse ne parle que de vie chère et de
restrictions. Climat
social tendu depuis l’année précédente, sur fond de
luttes à l’intérieur du mouvement socialiste. La grève que vont lancer les cheminots de la CGT à la fin du mois est relayée après le 1er mai en vagues successives par les mineurs, les dockers, les métallos et le bâtiment puis le gaz et l’électricité. Mais les compagnies de chemins de fer ne cèdent rien, assurées du soutien du gouvernement d’Alexandre MILLERAND qui a décrété la réquisition et fait rouler les trains en recourant à l’armée, aux élèves des grandes écoles. Les compagnies licencient 15000 cheminots. Ça c’est une gouvernance!
Fin mai la CGT baisse pavillon. Tout ceci ne fait qu’accentuer l’effervescence chez les socialistes. Faut-il ou non adhérer à l’IIIème Internationale comme le souhaitent les amis soviétiques? Le Congrès de Strasbourg se prépare, avant-dernière étape avant le Congrès de Tours à la fin de l’année où la victoire des communistes est écrasante. La minorité devra s’incliner, promettant comme le dit Léon Blum dans son discours de clôture de « garder la vieille maison » au cas où... L’Humanité, le journal de tous les socialismes qu’avait fondé Jaurès reviendra aux majoritaires et deviendra l’organe du parti communiste. Année noire, et j’en garde au cœur une plaie ouv-è-erte un siècle après.
Le sujet du jour : gabelous de la Côte d’Opale
Din nou famile, 1er février 1771 naissance d’Élizabeth BREZIN. C’est la quatrième de six enfants et je ne connais d’elle que sa date de naissance, qui la fait sortir de l’ombre. BREZIN, BERSEIN, on erre sur le nom véritable, VRAISIN écrit même un scribouillard du recensement de 1861. C’est par raccroc que les BREZIN appartiennent à mon arbre : cette Élizabeth évanescente est la sœur de Louis Joseph (ou Jean-Louis selon les actes), arrière-grand-père de mon arrière-grand-père maternel Lucien Amédée LECLERCQ. L’intéressant, c’est qu’avec les BREZIN on quitte l’Artois intérieur, pour tomber à mille lieues de là (en réalité une vingtaine) dans une famille de la côte. Pas des pêcheurs. Des douaniers, chargés de la surveillance et de la répression des trafics, ou comme on disait sous l’Ancien régime des employés aux fermes du roi ou en abrégé des employés. Aucune agriculture là-dessous. Ferme est à entendre comme dans fermier général : le particulier qui se charge de recouvrer une taxe ou un impôt moyennant une somme forfaitaire versée d’avance à l’État. Toujours à court d’argent, celui-ci est sûr d’avoir une recette sans avoir le souci de la récupérer. Le « fermier » de son côté, pour salaire de sa peine encaisse les bénéfices éventuels mais aurait tendance à se payer sur la bête. Le père BERSEIN ou BREZIN est donc préposé aux douanes, gabelou, surveillant le trafic venu d’Angleterre, en faction dans son gabion, arpentant son chemin côtier, le fameux chemin de douanier
ou en planque derrière un repli de dune pour pincer en flagrant délit les contrebandiers. Des dunes balayées par le vent qui vous envoie de grandes gerbes de sable râpeux les jours de tempête, voilà le quotidien de Jean-Louis Dominique, le même (uniformes en moins) que celui des douaniers de la baie d’Authie photographiés vers 1900. Il n’est pas originaire de la côte, mais de l’intérieur, de Coigneux ou d’Authie, à la source du petit fleuve côtier du même nom qui trace la limite entre l’Artois, exempté sous l'Ancien Régime, pour prix de son rattachement à la France sous Louis XIV de diverses taxes taille, aides et surtout gabelle ,
et la Picardie où le sel, si nécessaire à la conservation de la viande est lourdement grevé de taxes. La contrebande prospère des deux côtés de la rivière comme on dit là-bas. Contrairement à tous ses ancêtres laboureurs, à ses six frères et sœurs, il est le seul à s’engager dans la surveillance de la contrebande côtière, à être selon la dénomination d’un acte de 1765 gendarme employé dans la brigade de Berck . Mais peut-être en a-t-il eu l’idée tout jeune car dans son village natal, je note plusieurs employés aux fermes du roi , des gabelous qui perçoivent les droits mais plus souvent tentent de contrecarrer les ruses des trafiquants. Le métier recrute certainement mais il faut peut-être éviter de l’exercer au pays car la population, qui profite du trafic ne les voit pas d’un bon œil. À Vignacourt, un peu plus au Sud entre Abbeville et Amiens, en 1753, trois gabelous qui emmènent par la grand-rue une faux-saunière (une contrebandière en sel) sont pris à partie par cent hommes et trois cents femmes « qui sont dans la rue serrés en une double haie hérissée de louchets et de bâtons » Les employés tirent, la foule cogne ; deux gardes sont blessés, la femme libérée raconte l’historien Jean Nicolas.
BERSEIN se marie à Authie avec Angélique DEMAY, une fille du village. Il me semble y rester jusqu’en 1766, l’année où naît et meurt
dans un même souffle notre Marie Cécile. Jusques là, on ne peut dire que le bonheur ait été au rendez-vous : malchance, inexpérience, conditions d’hygiène précaires: les quatre premiers nés meurent en bas âge. Des six qui vont suivre deux ne survivent que quelques jours, en particulier Antoine le dernier-né, dont la naissance est fatale à la mère: Angélique meurt à 38 ans des suites de ses couches, épuisée aussi par dix grossesses en seize ans. Un an et demi après, notre veuf chargé de quatre enfants entre 8 ans et 3 ans convole avec Jacqueline BODOT. Trente-six ans: ce n’est pas une jeunesse. Est-ce pour cela que par peur de rester vieille fille, elle accepte de se marier avec un veuf lourdement chargé de famille? On vit entre douaniers: les témoins au remariage sont brigadier, sous-brigadier et employé. Un garçon et une fille naissent. Jean-Louis Dominique n'a pas la cinquantaine quand il disparaît. Tout le monde est alors installé à Groffliers, sur la rive droite de la baie d’Authie, un village fragile puisqu’en 1745 un raz de marée le ravage. Jacqueline sa veuve peut alors sans doute compter sur l’aîné, Pierre Nicolas qui a 18 ans. Marie Marguerite 15 ans, Élizabeth 13 ans, Louis Joseph 12 ans sont certainement placés à droite ou à gauche comme servantes ou valet de ferme. Reste sa propre progéniture Jean-Louis 6 ans et Marie-Magdeleine Séraphine 3 ans.
La veuve survit presque un quart de siècle à son douanier. J’ignore où elle meurt en 1808. Je ne sais rien non plus du sort d’une Marie Marguerite née en 1769. En revanche, Élizabeth Marie (Berck 1771- Écuires 1810) et Marie-Magdelaine Séraphine (Groffliers 1781- Oye-Plage 1815) sont un peu mieux connues de nos services, encore que la recherche soit plombée momentanément du côté de la Somme car le site des Archives y est inaccessible pour l’instant, pour avoir subi… une attaque virale. Je sais seulement , grâce aux arboriculteurs de Généanet, qu’elles meurent jeunes, mariées l'une à un garçon meunier, l'autre à un douanier.
L’Empire et son blocus donnent un rôle stratégique aux douaniers de la côte. Il ne s'agit pas de guéguère folklorique. Les enjeux sont énormes. L'industriel Mourgues qui emploie en 1808 300 ouvriers dans sa filature des bords de l'Authie n'hésite pas à recourir à des contrebandiers anglais pour acquérir des machines plus perfectionnées que celles qu'il a réussi à construire (en recourant déjà à l'espionnage industriel). Engagez-vous, rengagez-vous. C’est la voie que suit l’aîné des BREZIN, Pierre Nicolas (Berck 1766- Ponthoille-80 1811): il épouse une fille de Quend, sur la rive gauche de l’Authie : ne subsistent que 3 ou 4 enfants des onze (dont des jumeaux qui ne survivent pas) venus au monde en seize ans. Son demi-frère Jean-Louis (Groffliers 1778-Coquelles 1841) est né dans le sérail: à son mariage, il avait pour témoin un receveur des douanes. Sa carrière de douanier trouve un prolongement naturel dans sa fonction de garde champêtre à Coquelles, village côtier pleine de charme et de contrebandiers à l’ancienne, avant de devenir un enfer pour les candidats à l’émigration depuis qu’y a été construit le terminal du tunnel sous la Manche.
J’ai gardé sous le coude le garçon du milieu, celui par qui les BREZIN/BERSIN ont fait leur entrée dans la famille. Il s’agit de Louis Joseph – son prénom officiel mais par la suite, loin de sa famille et de confusions possibles avec un demi-frère qu'il jalouse peut-être, on le nomme, il se fait appeler Jean-Louis, comme son père. Né pourtant à Berck, c’est le seul à regarder non pas vers la côte mais vers l’intérieur des terres, de l’autre côté du Coigneux familial, au-delà des collines qui entourent Pas-en-Artois, - Gaudiempré, où il atterrit. Pas tout à fait par hasard: un oncle paternel Pierre Antoine BERZIN, valet de charrue y avait fondé une famille avec une LECLERCQ peut-être parente de sa future femme. Il y est décédé en l’an II. Depuis quand Jean-Louis travaille-t-il à Gaudiempré lorsqu’il s’y marie le 15 frimaire de l’an VI (5 décembre 1797)? Journalier de 23 ans. L’élue est Augustine LECLERCQ une fille du coin, la dernière-née des 7 enfants du maçon Géry LECLERCQ. Au mariage, à part la mariée et un témoin scieur de long, tout le monde signe. BERZIN ose même un
joli paraphe qui suppose une familiarité certaine avec l’écrit. Parmi les témoins, tous de Gaudiempré son village d’adoption, figurent des parents par alliance, du côté de son oncle. Je note un garde forestier, un frère de la mariée percepteur: deux détenteurs d’une parcelle d’autorité. Il y a plus déshérité que ce petit monde. Mariage d'amour ou de convenance? La mariée avait accouché un mois avant d’une Augustine, reconnue par Jean-Louis Brézin pour être de ses œuvres. Mais la grande Histoire frappe à la porte. Si les réquisitions révolutionnaires semblent avoir oublié notre homme, l’ambition conquérante de l’Empereur attire les aventureux quitte à les dévorer: BRÉZIN n’a pas voulu du statut plus reposant de ses parents douaniers. Choix ou nécessité, il est soldat – c’est ce qu’on apprend par la bande. Car désormais, sa présence va se dessiner en creux : fruit d’une permission en 1805, Catherine naît le 26 février 1806 le père absent pour l’armée. 1820: le recensement le donne pour militaire chef du foyer. Pure fiction administrative: il faudra attendre 1830 pour qu’au mariage de Catherine le 16 novembre, on tranche : soldat présumé mort aux armées, pas reparu depuis le 29 mars 1812. En 1823 pour le mariage d’Augustine, faute de décision officielle, on s’était contenté de mentionner le père et de faire figurer un oncle en manière de tuteur
Où a-t-il disparu après cette date? Multiples sont les fronts où l’Empire lutte alors avec les ennemis qu’il s’est créés. Scénario probable : le soldat BERZIN a été englouti par la campagne de Russie et sa retraite calamiteuse. Ils sont des milliers dans ce cas. Il n’avait pas la notabilité suffisante pour qu’on reconnaisse son cadavre comme ce général GUDIN mort le 22 août 1812 à Smolensk et récemment identifié grâce à l'amputation de sa jambe droite et son ADN. Que n’avait-il choisi la vie « pépère » du douanier/garde-champêtre! Fait-il partie de ces squelettes qu’on retrouve
périodiquement sur un chantier d’autoroute ou de grand magasin comme à Francfort en 2015 ? À moins, à moins, qu’il n’ait fait souche en Pologne comme certains grognards rescapés de la Bérézina !
prochaines parutions: 15 février 2020, et exceptionnellement comme la bougie du sapeur, 29 février 2020
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____________________________ NOTES________________________
- 1. Ella et Louis. Ella Fitzgerald et Louis Armstrong dans Summertime
https://www.youtube.com/watch?v=lnXLVTi_m_M
- 2.Appel de l’abbé Pierre 1er février 1954
https://www.youtube.com/watch?v=OhxDjbKumlE
-- 3. Jean Nicolas La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale (1661-1789), Éditions Gallimard (Folio Histoire), 2014, chap. 2)
- 4. https://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0001_1975_num_1_1_6210
préposé aux douanes contrebandier condamné au bagne geneanet
https://gw.geneanet.org/ndepre?n=lebrun&oc=&p=charles+jules
- 5. général Gudin
https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&q=g%C3%A9n%C3%A9ral+de+napol%C3%A9on+retrouv%C3%A9