février 2021
Un mois parfait
Oui,il s'agit de ce mois-ci , un mois croupion de 28 jours seulement puisque l’année bissextile 2020, est derrière nous, annus horribilis ; on ne va pas la regretter. Nous naviguons à l’aveugle en plein brouillard mais nous abordons un "mois parfait" affirment plusieurs journaux tout heureux de nous faire partager le petit bonheur dont se régalent les amoureux des chiffres : ce banal février 2021 cache une rareté toute bête, si évidente qu’elle passerait inaperçue : il commence un lundi premier et se termine le dimanche 28. Une aubaine pour les maquettistes, typographes et autres fabricants de calendrier: pas de cases blanches dans le quadrillage. En bonus, une petite curiosité : le 12.02.2021, que les savants nomment date palindrome car on peut le lire de droite à gauche comme de gauche à droite. J’ai mis deux liens qui permettront de savourer comme il sied ces gâteries numérologiques. Ajoutons qu’il reste 333 jours jusqu’à la fin de l’année et que selon le calendrier républicain, nous sommes le 13ème jour de pluviôse, consacré au laurier sauce, bien prosaïque mais plus rassurant que le laurier rose toxique dans sa totalité -
est-ce pour cela que depuis l’antiquité il ceint la tête du vainqueur afin de le ramener à la juste mesure de tout triomphe?
Du côté des saints du jour, il y a foule derrière l’officielle Ella. À part Ella Fitzgerald, je n’en connais pas. Ce n’est pas un diminutif mais un prénom à part entière, celui de la belle-sœur de Richard Cœur de Lion décédée en 1261. Devenue veuve de William Longespée/ Longswallow, époux volage mais repenti au retour de la troisième croisade, elle fonda un monastère d’augustines. C’étaient des sœurs hospitalières ou enseignantes. À Arras, vêtues de noir, la tête encadrée d’une coiffe et d’un rabat blancs, elles tenaient l’ancien hôpital Saint Jean.
Vatican II a fait passer à la trappe la sainte en titre, sainte Brigitte, une irlandaise disciple de saint Patrick, honorée en Bretagne et en Alsace où ses reliques avaient été mises en sûreté, mais son culte en Bretagne recouvre peut-être bien celui de Brigit, divinité celte assimilée à Minerve.
Amis du Berry, des maîtres sonneurs, des vielles et autres cornemuses, ayez une pensée pour Saint Chartier, Sanctus Carterius dont on ne sait rien sinon qu’il mourut un premier février du VIème siècle après avoir vécu près de Nohant en un lieu auquel il donna son nom. Saint-Chartier fut de 1976 à 2008 le rendez-vous de tous les luthiers et sonneurs de par le monde en hommage au roman de George Sand (encore elle), les Maîtres Sonneurs. Le festival est désormais accueilli sur un autre site. Le 1er juin 2010 le bureau de poste fermait, puis le 1er août 2011 c'était au tour de la gendarmerie . Un désert rural de plus
Et maintenant tournez manège. Sur le kinéscope du temps, apparaît le 1er février 484 Hunéric, le roi arianiste des Vandales et des Alains installé dans la Tunisie actuelle.
Voulant démentir auprès de l’empereur de Byzance la sinistre réputation qui s’attachait à lui, il décide de mettre un terme aux persécutions envers les évêques et les populations catholiques : il autorise ce jour-là la tenue d’un synode à Carthage qui réunit clergé catholique et arien et après 24 ans de vacance Eugène est élu évêque (catholique) de Carthage. Initiative sans lendemain : dès la fin du mois, les persécutions reprennent de plus belle. Il meurt bientôt et l’on met en terre un corps puant dévoré par la gangrène
Religion et pouvoir toujours : le 1er février 1669, Louis XIV ( tout fringant encore mais destiné à une fin aussi pestilentielle) a pris parti contre les bigots ultramontains et autorise enfin la première représentation publique de Tartuffe– on parle d’un temps mythique de représentations « en présentiel »
comme on dit…
1er février 1811 Mise en service après trois ans de construction dans des conditions épiques du seul phare off-shore avec Cordouan, le phare de Bell Rock. Il s’élève au large de l’Ecosse sur un rocher en pleine mer qui causait la perte d’en moyenne six navires par hiver. Ce phare des records, septième merveille du monde industriel selon une série de la BBC, fut construit par le grand-père de Stevenson. En deux siècles et demi de fonctionnement, il n’a jamais nécessité de réparations, sauf pour remédier aux dommages causés par un hélicoptère : le 14 décembre 1955 l’appareil de la RAF venu ravitailler les gardiens en pleine tempête, s’écrasa contre le phare.
1er février 1871 Pas question d'abandonner la guerre de 70 et Paris. Le siège, « l’investissement »
comme on disait, est terminé. La vie reprend son cours : on revient dans les quartiers désertés pendant le bombardement. Peu à peu, les trains se remettent à rouler mais
l’amertume et l’humiliation sont profondes quand il faut abandonner aux prussiens les forts chèrement défendus pendant quatre mois. Certes on prépare les élections et le Rappel fondé par l’entourage de Victor Hugo s’y emploie avec ardeur mais les journaux les plus modérés expriment haine et rancœur. Un autre épisode va commencer, la guerre civile sous les yeux de l'occupant. La guerre avec la Prusse se termine aussi à l’Est ce jour-là, pour l’armée Bourbaki. Harcelée par les prussiens, la faim et le froid, elle n’a d’autre solution que de traverser le plateau du Haut-Doubs par -20° pour chercher asile en Suisse et mettre à profit sa neutralité. La Convention de Verrières est signée avec la Confédération, sous l’égide de la Croix Rouge dont c’est la première opération d’envergure. 90000 hommes dont 2500 officiers épuisés, affamés, gelés commencent à passer la frontière, déposent les armes et sont répartis dans les cantons. Un panoramique saisissant évoque cette odyssée. 1700 soldats moururent d’épuisement, de blessure ou de maladie dans les semaines qui suivirent. Les hommes de Bourbaki furent renvoyés chez eux au mois de mars et l’État français prit à sa charge les frais de leur asile en Suisse.
1er février 1953
catastrophe encore : inondation des côtes des Pays Bas, en Zélande. Une tempête avec des rafales à 150km/h provoque un raz de marée. Vers 3 heures du matin les dizaines de digues qui protègent les polders de Zélande cèdent. La surprise est totale, les autorités n’ont pas donné l’alerte et les secours tardent à s’organiser ce dimanche. Bilan: 1800 morts, 160000 hectares de terres envahies par l’eau salée. Hommes, femmes enfants, dérivent sur les toits de leur maison, s’accrochent aux poutres. Des milliers de personnes resteront pendant des jours réfugiés dans les greniers ou sur les toits.
Je me souviens de photos – de Match sans doute – de la reine Juliana visitant les réfugiés. En France s'était déclenché un grand élan de solidarité et d'envoi de vêtements et de tricots. Pour éviter le retour d’une telle catastrophe, des travaux gigantesques (Deltawerk)sont entrepris pendant trente ans pour fermer complétement le Zuiderzee
1er février 1954. Appel de l’abbé Pierre. Deux vagues de froid successives s’abattent sur le Nord puis sur toute la France. Dans le Nord, les canaux gèlent. La mer est prise à Dunkerque. Il neige d'abondance à Perpignan et à Toulon. L’abbé Pierre lance un appel sur Radio Luxembourg en faveur des sans-abri qui meurent de froid dans le bidonville de Nanterre. Les journaux titrent « insurrection de la bonté ».500 millions de francs en dons arrivent dont 2 millions par Charlie Chaplin qui dira à cette occasion : « Je ne les donne pas, je les rends. Ils appartiennent au vagabond que j'ai été et que j'ai incarné. ». L'abbé Pierre pourra lancer les cités d’urgence et donner son plein essor au mouvement Emmaüs
1er février 1960 Au jeu de « je me souviens », fin de la semaine des barricades à Alger à l’instigation de Lagaillarde, député d’Alger, ex-para, d'Ortiz et de Susini président de l’association des étudiants d’Algérie. On les retrouvera plus tard à l’origine de l’OAS. J’étais interne depuis trois mois, pour la première fois de ma vie, en Hypokhâgne au lycée Faidherbe de Lille. Régime traditionnel, avec la discipline d'un internat d'avant 68. Études après le repas du soir jusqu’à 21h 30 ; montée au dortoir et « extinction –théorique- des feux » à 22 heures, sous la surveillance d’un pion qui avait le même âge que nous et dormait dans une alcôve de toile au
milieu du dortoir. Exactement comme en 1901, sur une carte que j'ai retrouvée il y a peu sur la Toile. De chaque côté de l’allée centrale s’alignaient 80 lits (plus serrés que sur la carte) où se côtoyaient sans se fréquenter les « cyrards » d’un côté et de l’autre littéraires, et candidats aux écoles de commerce qui partageaient la même étude. Les scientifiques qui préparaient des concours dès la première année avaient droit ailleurs à des chambres de deux ou trois. Le transistor collé à l'oreille sous nos couvertures nous écoutions les nouvelles à Europe 1. L’administration de ce lycée de préparationnaires était sur les dents : quand certains lycéens faisaient le mur pour aller manifester avec leurs copains étudiants elle fermait les yeux . Elle redoutait en revanche les réactions des futurs Saint-cyriens, et leur avait confisqué tous les transistors… Je ne me souviens que de ces détails. Soixante ans après, j'ai la mémoire qui flanche.
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https://fr.wikipedia.org/wiki/Hun%C3%A9ric
https://journals.openedition.org/annuaire-cdf/2807
https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Sept_Merveilles_du_Monde_Industriel
inondations de 1953 en Hollande : https://www.ina.fr/video/AFE85004955