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terresdartois
24 décembre 2020

P comme POSTALES (CARTES) Lundi 19 juin

P comme POSTALES (cartes)     lundi 19 juin

 

       

Péjac rec vers Henday 09-11-2013 15-41-16 09-11-2013 15-41-16

 Il faut toujours lire les cartes postales anciennes, si anodines semblent-elles, pas seulement les regarder. Un fouineur de mes amis  a ainsi mis la main sur une banale vue de la Koutoubia de Marrakech avec quelques mots  signés de… W. Churchill, enfin  « de la part de.. » écrits donc en fait par son secrétaire particulier. On peut rêver malgré tout et imaginer le vieux lion peignant  sous son immense parasol blanc dans les jardins de la Mamounia. Dans un autre style, je m’étais intéressé à une vue de la gare désaffectée de Saulty-L’ Arbret, je l’achète  car mes deux parents, pensionnaires  « boursiers » aux lycées de jeunes filles et de garçons d’Arras y ont pris le train chaque semaine de leur scolarité dans les années trente.  Au dos: « merci pour le paquet de poireaux à repiquer ». Dans ces années 1910, on envoyait des cartes comme aujourd’hui des SMS, pour oui, pour un non.

         J’avais décidé de me débarrasser d’un paquet de vieilles cartes trouvées chez ma grand-mère : la basilique de Lisieux, le Buissonnet (la maison de famille de la petite Ste Thérèse), le Mont St Michel, Lourdes sous toutes les coutures, Chenonceau, Chambord bref les sites touristiques français (souvent des lieux de pèlerinage)  les plus courus au début du siècle dernier dans les campagnes. Des photos cadrées sans originalité –surtout pas-, mal imprimées le plus souvent. Par un réflexe acquis en brocante je lis quand même la correspondance avant  de jeter ce fatras de banalités iconographiques et épistolières « Bonjour de Lens » « Meilleur souvenir de St Brieuc », «  ta marraine qui t’embrasse », « Je suis bien arrivée » signés de Zulma CAILLERET, Berthe, Adèle Dassonval, Paul, Arthur etc. à jamais inconnus de moi. 

arcachon cart babet -a

Et voilà deux cartes parfaitement insignifiantes, « Arcachon un coin de plage », « Hendaye la Bidassoa »  mais le destinataire n’est pas l’habituelle Lucienne LECLERCQ (ma grand-mère) :

cart babet -c

c’est  Marcel POISSON chez Mr LECLERCQ cultivateur à Bavincourt  tout l’espace accordé à la correspondance est rempli d’une toute petite écriture bien lisible, qui recouvre aussi totalement le dos d’une « vue de Cauterets »  banale, peu lisible,  écornée,  en partie « dépiautée » pour récupérer le timbre. On ne trouve que ce qu’on cherche dit-on : justement, c’est l’époque où je me suis mis en tête de m’intéresser à ce Marcel POISSON, un garçon de l’assistance élevé par mes arrière-grands-parents Lucien et Mélina LECLERCQ, auréolé dans  la famille de sa mort  aux Éparges à 18 ans en mars 1915.

poisson mat-SIGNAL

J’avais lu aux Archives de la Seine son dossier administratif tenu par l’Assistance Publique et entre autres les échanges de correspondance avec ses parents nourriciers devenus ensuite ses patrons. Il a un frère cadet dont il sera séparé. Avant la prise en charge définitive par l’administration, à plusieurs reprises les deux frères ont été « en dépôt », leur mère malade ayant dû faire  plusieurs séjours à l’hôpital. Elle décède. Leur père contacté plusieurs fois décide d’abandonner ses enfants car malade, à l’hôpital, il ne peut s’en occuper. Son frère de 4 ans est dirigé sur Berck pour soigner son rachitisme, lui à 7 ans est placé chez les LECLERCQ à Bavincourt. Qu’apportent  ces trois cartes ? De façon miraculeuse arrive à la surface l’existence qu’il a pu mener dans son quartier de Bercy (presque entièrement détruit pour faire place au stade), près de la gare d’Austerlitz,  et du boulevard de la Gare (devenu  boulevard Vincent Auriol). Les sept années de vie parisienne n’ont pas été que misère et solitude. S’est penchée sur la famille POISSON une ombre tutélaire, dame patronnesse  traditionnelle peut-être, ou bénévole de « la Mie de pain »  une œuvre  d'inspiration catholique  dans laquelle nombre d'artistes s’investissent .

mi de p dét

       Elle  a aidé comme elle a pu les enfants ; maintenant qu’elle a retrouvé l’aîné, elle l’entoure comme elle peut d’affection, s’inquiète au moment où elle apprend qu’il s’est engagé. Apparemment le reste de la famille le connaît bien et lui adresse des mots de sympathie.  La main est rapide et précise: celle d’une personne cultivée; propos aisé, fluide, débordant d’empathie et d’émotion : M. Péjac lit-on dans un coin rongé par l’usure, une femme d’après l’écriture et d’autres indices. Une  Babet ajoute quelques formules d’affection,  un Lucien Péjac qui va bientôt être mobilisé envoie un salut de futur camarade de combat. On s’inquiète pour Marcel en croisant des soldats revenant du front ou des « évacués » en débandade. Les sentiments forts qu’il suscite se disent sans détour mais sans pathos.            

afollée

           Mon cher Marcel,  Enfin nous avons eu de tes nouvelles. Je voulais aller voir avenue Victoria [siège de l’Assistance Publique]  car nous nous faisions vraiment du mauvais sang. Nous avons eu dernièrement l'occasion d'aller jusqu'à Montdidier et nous avions rencontré tant de jeunes gens de ton âge qui évacuaient les pays du Nord que nous pensions que si tu n'en avais pas fait autant c'est que tu avais été pris par ces sales Boches. Dieu soit loué! Tu es en bonne santé. Ta lettre n'a mis que 11 jours à nous parvenir l'autre avait mis un mois Réponds-nous aussitôt que tu auras reçu cette carte et donne-nous de tes nouvelles. Ici nous allons tous bien  Lucien va partir avec la classe 15. Je t'embrasse de tout mon cœur surtout écris-nous M Péjac.  en haut: je te souhaite le plus de chance qu'il se peut; d'ailleurs j'ai pleine confiance en ton étoile. Je suis de la classe 15 et vais partir vers le milieu de décembre. Tu es de la classe 16; peut-être nous rencontrerons-nous en soldats l'année prochaine! Une bonne poignée de mains. Bonne chance et bon courage. Lucien PéjacNous avons été heureux de te savoir en bonne santé je t'embrasse bien fort.  Babet

 Des attentions aussi pour ses  parents à qui on fait envoyer des pêches depuis Bordeaux, un geste plein de distinction qui a dû étonner ces paysans très simples.

    Mon cher Marcel    Nous expédions aujourd'hui de Bx à l'adresse de Mr et Mme Leclercq quelques pêches de Bordeaux. Tu nous diras à Paris où nous rentrons sauf Lucien si vous les avez reçues.  De bons baisers de tout le monde  et nos meilleures amitiés à tes parents   M Péjac   Babet  

Trois témoignages de tendresse et de bonté arrachés in extremis à la destruction. Un milieu gratifiant  pour ce gamin mal dans sa peau de futur ouvrier agricole – c’est ce qu’indiquent ses lettres au responsable local de l’Assistance-. À Bavincourt, il gardait le souvenir de cette bonne dame dans une légende qu’il s’était forgé et que me rapportait mon oncle: il affirmait être l’enfant naturel d’une comtesse qui viendrait un jour le chercher – alors qu’il gardait forcément en mémoire les  traits d’une mère disparue quand il avait 7 ans et d’un père  incapable d’assumer son rôle.

 

péj 1892 lumi-b

Et maintenant, il va falloir retrousser ses manches et en savoir un peu plus sur M. Péjac, Babet, Lucien Péjac. Un défi auquel il n’est pas question de me dérober. J’avoue ne pas être mécontent du résultat. Heureusement j’avais un appui solide: Lucien Péjac  appartenant d’après son mot  à la classe 15, était né en 1895. La chance était avec moi : j’ai fait le pari qu’il était né à Paris  et j’avais vu juste. Une fois l’acte de naissance retrouvé, en combinant Généanet, les arbres déposés, la bibliothèque généalogique,  et  les investigations dans les archives numérisées, j’ai pu reconstituer une bonne partie de cette famille.  J’ai eu un échange avec un descendant qui  ignorait complétement cet épisode parisien mais qui a pu me fournir les photos de Gilbert Péjac, dessinateur créateur de meubles, de lampes  dans le style Art Nouveau de sa femme Marie Estèbe, et me « donner des nouvelles »  de cette famille que j’avais appris à connaître.

      Les cartes postales ont parfois bon dos…

   

 



 

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