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Dictons du jour:
- « À la Saint-Désiré, tu peux découvrir ton nez».
- « Au jour de saint Boniface, toute boue s'efface. »
Eliminés par la commémoration de la victoire de 1945 sur l’Allemagne nazie, deux patronages anciens sans relief : Désiré de Bourges, -(important pour la fierté locale) un haut fonctionnaire mérovingien, évêque de Bourges décédé le 8 mai 550, et Boniface IV, pape de 608 à 615, vous avez le choix. Et « Félicie aussi » m’indique un de mes vieux calendriers. Paris Soir de 1943 a dégotté un Saint Orens, évêque d'Auch décédé en 365, fêté localement le 11 mai, en fait.
Malgré ces deux dictons rassurants , tout ne va pas pour le mieux au jardin : les saints de glace rôdent et quant à la France d'il y a quatre-vingts ans, en 1943, elle est au fond du trou. Deux ans et demi après la défaite, le régime de Vichy s’est installé dans la
collaboration totale et peine à masquer une occupation allemande oppressante.
« Pavoisez » conseille pourtant le Petit Marocain à ses concitoyens casablancais. « Victoire ! » s’écrie-t-il « la victoire couronne la vaillance des troupes françaises et alliées ». La manchette du quotidien justifie une allégresse qui mettra encore longtemps avant d’atteindre la métropole « Tunis et Bizerte sont délivrées ». Une préfiguration de ce que sera la Libération.
Même enthousiasme dans l’Echo d’Oran comme dans L’Écho d’Alger. qui voit déjà la mère-patrie gagnée à la Résistance.
En métropole, le ton est évidemment tout autre. La presse déploie des trésors de ruse pour masquer la nouvelle que nul n'ignore malgré les brouillages intenses de Radio-Londres . Dans un contexte où la censure redouble
d'attention, la palme pour préserver un semblant de rapport à la réalité reviendrait au Journal. Sans états d'âme, Paris-Soir utilise les procédés les plus voyants : un hommage de M. de Brinon au courage des combattants de la Légion des volontaires français en Tunisie accompagné en gros caractères des
discours nazis antisémites habituels. Le montage de photos officielles et de sous-titres du Matin est un modèle de fabrication d'une "réalité alternative " comme on dit maintenant. Le grand Écho du Nord pratique l’esquive, préférant mettre l’accent sur les traits d’humanité du Maréchal et sur le régime de faveur à l’occasion du grand événement, la fête de Jeanne d’Arc , dont bénéficient les « prisonniers permissionnaires » ou les « travailleurs français » de la région de Hambourg - travailleurs forcés , rappelons-le, du STO. Mais laisser célébrer cette figure de la résistance patriotique est un casse-tête ; les cérémonies seront soigneusement encadrées: interdiction de tout rassemblement autour de la statue place des Pyramides à Paris ( dont le Front National fera son totem) - ou à la sortie de la messe solennelle en l’honneur de la protectrice de la France.. À Lille, on se rabat
sur la célébration de Notre-Dame de la Treille , occassion d’entendre un
conférencier de talent. La vie grise ordinaire continue, celle d’un pays soumis au couvre-feu,
au rationnement, aux tickets de ravitaillement, avec la délinquance petite ou grande que sécrète les restrictions . Et ce
désir intense de s’évader dans l’imaginaire : les salles de spectacles ne désemplissent pas et malgré tous les obstacles matériels, on tourne des films,
on monte des spectacles, sous le regard complaisant – et sourcilleux néanmoins-de l’occupant . Mais pour entendre et voir Joséphine Baker, c’est à Oran qu’il faudrait aller, en zone déjà libérée.