ABCdoc-70/ Obus, Pigeons, Peintres,Pendules, Photos
O B U S
Décembre 1870. Machine à remonter le temps: la notion de crimes de guerre fait difficilement son chemin. Les faits sont pourtant sans équivoque: délibérément, les prussiens s'en prennent à une population civile: après avoir bombardé les forts puis les villages proches ils allongent bientôt leurs tirs pour se concentrer sur les quartiers d’Italie, d'Orléans. Les hôpitaux semblent particulièrement visés: les médecins et le gouvernement protestent officiellement, se référant à la récente
convention de Genève. Chez les badauds l’inconscience l’emporte souvent sur la crainte : au Collège de France, il faut la chute consécutive de trois obus dans la cour et les jardins pour que les passants attirés se décident à quitter les lieux. Mais au fil des jours, on s'organise dans les quartiers les plus touchés: sur les trottoirs les soupiraux se hérissent de tuyaux de poêle qui signalent toute une existence souterraine. L’actualité de la guerre en Ukraine redonne aux images un peu trop pittoresques du Monde Illustré tout leur poids de misère.
Printemps 1871. Sous le regard de l'ennemi qui occupe un quart du pays, l'hypothèse invraisemblable d’un second
siège,et d'une capitale bombardée par son propre gouvernement est devenue réalité . La mairie de Neuilly est transformée en hôpital de campagne. Reportage du Rappel du 23 avril 1871: Le Mont-Valérien envoie des obus sur tous les points des remparts où on lui paraît travailler trop activement. Le plus souvent il atteint les villas les plus rapprochées de l'enceinte. Quand nous passons à la porte d'Auteuil, nous entendons cinq obus passer au-dessus de notre tête. Ce sont les premiers qui tombent dans Auteuil. Chaillot aussi a reçu ses premiers projectiles. L’éditorial, signé Auguste Vacquerie (un proche de Charles et Victor Hugo) est une adjuration : AUX FRANÇAIS. Mais c'est affreux, cette tuerie qui ne cesse pas ![…] Il y a là-bas, à l'autre bout du monde, à Versailles, des gens qui, de temps à autre, demandent des nouvelles aux ministres, comment se porte l'égorgement, combien on a tué de Parisiens, et qui trouvent qu'on n'en a pas tué assez[...] Et il y a ici des gens qui, le soir viennent s'accouder au parapet des ponts pour avoir le spectacle des éclairs du bombardement et pour écouter le dialogue du Mont-Valérien et du Trocadéro ; plusieurs ont des lorgnettes, les prêtent aux femmes, sont galants, plaisantent. Quel que soit le vainqueur, sa victoire sera bien avancée lorsqu'elle possédera — un cadavre ![…] Est-ce qu'il n'y a vraiment pas d'autre solution aux questions sociales que la fusillade et le bombardement?
Note du blogueur Pas un seul gouvernement européen n’a tenté une conciliation ni répondu favorablement aux demandes d'aide diplomatique de Thiers, lors de sa tournée ferroviaire des grandes capitales, tant la politique extérieure de Napoléon III avait réussi à s’aliéner l’Europe entière secrétement réjouie de ce qui arrivait à la France. Il est vrai que par aveuglement, sottise et prétention le gouvernement impérial fonçant tête baissée dans le piège tendu par Bismarck s'était placé dans le rôle peu enviable d’agresseur.
https://www.youtube.com/watch?v=sYF2hgaH77Q
https://www.youtube.com/watch?v=1J9-8gg-Wic
https://www.ouest-france.fr/monde/guerre-en-ukraine/video-guerre-en-ukraine-des-familles-dans-le-metro-a-labri-des-bombes-b36c7a17-82d3-4c31-8830-e0045f5af7f1
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Les P I G E O N S-V O Y A G E U R S. Ils n'ont pas volé leur médaille commémorative. Pendant le premier siège de Paris (par les Prussiens), ils sont l’objet de toutes les attentions, de Gambetta au premier chef. On les embarque dans la nacelle, ou plutôt dans des cages accrochées à l’extérieur, pour ne pas encombrer l’étroit panier d’osier chargé de sacs postaux. et de lest. Chaque numéro du Gaulois en parle. Une omniprésence qu’explique l’importance psychologique et stratégique qu’ils revêtent vu leur rareté à Paris car dans le maelström de la débâcle du régime impérial, qui pouvait imaginer la capitale de la France coupée du reste du monde ? Ces messagers sont en fait très peu nombreux, faute de coulonneux nordistes expérimentés : à peine une vingtaine vont s’avérer efficaces et effectuer plus d’une soixantaine de sorties. Une championne en effectuera 6, un phénomène de fidélité à son pigeonnier mais aussi une chanceuse qui a échappé aux humains voraces, aux oiseaux de proie - prédateurs naturels ou faucons dressés par les Uhlans et surtout aux intempéries, neige, brouillard et pluie. C’est à elle que fait probablement référence le Gaulois en rapportant le départ Gare du Nord à trois et demie du matin du Général-Faidherbe « outre les sacs postaux, les missives du gouvernement, trois pigeons sont partis. Celui qui est revenu dimanche dernier en nous apportant les dépêches de Gambetta en est à son sixième retour (16 janvier 1871) Grâce à l’invention de la microphotographie un seul pigeon dans un tuyau de plume pouvait ramener à Paris 15 000 dépêches privées ou l'équivalent de 500 pages de dépêches officielles. Un volumineux rapport de Gambetta fut condensé sur une pellicule ayant la taille d'un ongle (Wikipédia).
P e i n t r e s Dans un contexte où les exemptions au service militaire étaient nombreuses , la plupart des victimes parmi les artistes sont des volontaires. Je retiens deux disparus particulièrement prometteurs.
Henri REGNAULT. Alors qu'il revient de Tanger où il a le projet de s’installer se produit l'entrée en
guerre. Il s’engage dans les francs-tireurs avec le sculpteur Émile Carlier -qui sera blessé. Il meurt à 27 ans, à la fin de la bataille de Buzenval le 19 janvier 1871, pendant une retraite confuse dans le brouillard et le gel, atteint par une balle à la tempe au détour d’une embuscade tendue par les prussiens .
Frédéric BAZILLE. Peintre au talent déjà reconnu, il était ami de Sisley, Renoir et Monet . Plus
fortuné qu’eux, il les aide souvent financièrement et leur paie un atelier. À la déclaration de guerre avec la Prusse, il s’engage , au grand dam de ses amis, -dans les zouaves. Il meurt à Bonne-la-Rolande le 28 novembre 1870, au cours d’un assaut, blessé au bras et à la jambe en essayant de protéger des femmes et des enfants. D’aucuns expliquent le long oubli dont il fut victime par le fait que la soixantaine de tableaux qu’il avait déjà à son actif étaient restés dans un petit cénacle d’amateurs et de parents de Montpellier, sa ville natale. L’ami Monet ne leva jamais le petit doigt pour entretenir son souvenir. C’est seulement en 1900 que le critique Roger Marx le découvre et expose deux de ses tableaux . Il faudra attendre le années cinquante pour qu’on commence à le réévaluer.
P E N D U L E S. Les journaux rapportent à l’envi les pillages – réels et/ou
inventés- auxquels se livrent prussiens et bavarois dans les maisons abandonnées comme
dans les logements que l’autorité militaire étrangère leur a attribués. Un objet , selon les récits, semble les avoir particulièrement fascinés : les pendules -ou les pendulettes. Un thème aussi récurrent doit bien correspondre à une réalité. Pour le vaincu ainsi spolié, cette pendule qu’on emporte sans façon sous le bras résume toute la rapacité et la grossièreté du vainqueur qui s’empare du cœur battant de la maison, mais pourquoi les occupants manifesteraient-ils pareille attirance ? Facile à emporter – et à négocier, la pendule, renvoie à une certaine aisance bourgeoise, au fameux goût parisien, - trophée, prise de guerre avec laquelle on va pouvoir facilement parader de retour chez soi. Daudet a tiré de ce goût avéré ou fantasmé un Conte du Lundi piquant et flatteur pour un amour-propre français particulièrement mis à mal, « la pendule de Bougival ». C’était une pendule du Second Empire, une de ces pendules en onyx algérien orné de dessins Campana, qu’on achète boulevard des Italiens, avec leur clé dorée en sautoir au bout d’un ruban rose.Tout ce qu’il y a de plus mignon, de plus moderne, de plus article de Paris[...],sonnant d’un joli timbre clair, mais sans un grain de bon sens, pleine de lubies, de caprices, marquant les heures à la diable. Quand la guerre éclata, elle était en villégiature à Bougival, faite exprès pour ces palais d’été si fragiles, ces jolies cages à mouche en papier découpé[…] A l’arrivée des bavarois, elle fut une des premières enlevées et ma foi, il faut avouer que ces gens d’outre-Rhin sont des emballeurs bien habiles car cette pendule-joujou, guère plus grosse qu’un œuf de tourterelle, put faire au milieu des canons Krupp et des fourgons chargés de mitraille le voyage de Bougival à Munich, arriver sans une fêlure. Achetéechez un brocanteur à Munich par le strict et solennel Docteur Otto Schwanthaler,directeur de la Pinacothèque, elle réussit par ses sonneries intempestives à détraquer le rythme compassé et méthodique imposé jusqu’alors dans la maison par une énorme horloge à multiples cadrans. O malice des choses, il semblait que cette petite pendule était fée et qu’elle avait pris à tâche d’ensorceler toute la Bavière […] Un jour d’étape en étape elle arriva jusqu’à la résidence ; et savez-vous quelle partition le roi Louis, ce wagnérien enragé a toujours ouverte sur son piano ?... Les Maîtres chanteurs ? Non ! Le Phoque à ventre blanc* ! Ça leur apprendra à se servir de nos pendules [*une parade musicale en un acte créée à Paris à l’Alcazar d’été en juillet 1871]
P H O T O G R A P H I E. La technique ne permet pas encore de véritable reportage. Les reconstitutions après ou avant
l’événement abondent. On pose avec fierté sur la barricade. L’intérêt de pareils documents n’a pas échappé aux limiers de la répression versaillaise qui confondent ainsi facilement ceux qui avaient joué les bravaches. La présence de Courbet sur la photo de la colonne Vendôme abattue aura valeur de preuve irréfutable. La vente des « albums » des ruines de Paris, des « crimes de la Commune », les cartes postales de photomontages de l’exécution des
généraux Lefebvre et Clément-Thomas ou de Rossel font la fortune de certains photographes , comme Appert . Des expositions récentes s’intéressent à tous les aspects de cette utilisation toute nouvelle de la photo et des manipulations – intentionnelles ou non- de la vérité qu’elle a pu si vite engendrer . Certaine photo d’Eugène Disdéri, symbole des victimes de la Commune serait ainsi en réalité un cliché des morts de Buzenval.