30 novembre expiations et ingratitude mais ...
... fêter les ANDRÉ quand même.ANDRÉ, prénom valeureux s’il en est, viril en diable– mot risqué par les temps qui courent : il désigne en grec l’homme, le mâle –ἀνήρ (anḗr), génitif ἀνδρos (andros) - , l’Homme, l’être humain se disant Άνθρωπος (anthropos). Vite un dicton bien placide: « À la Sainte-Catherine, l'hiver s'achemine, à la Saint-André, il est acheminé. ». Et un autre, qui ravira les stations de sport d’hiver : « Neige de Saint-André, peut cent jours durer. »
30 novembre 1340 Une naissance qui va nous illuminer : à Vincennes, celle de Jean duc de Berry, commanditaire d’un magnifique livre de prières : les très riches heures. En ouverture, pour janvier, il s’est fait représenter recevant les vœux de ses obligés, bien au chaud dans sa houppelande d’un bleu rutilant, couleur coûteuse aussi bien pour les teinturiers que pour l’enlumineur.
Du bleu encore et de l'ingratitude. Envers Denise GLASER née le 30 novembre 1920 , 101 ans jour pour jour . Denise GLASER ? « Discorama », émission mythique de la télé publique , c’est elle: chaque dimanche à 12h30 pendant 16 ans , dans un décor minimaliste , cette découvreuse de talents était habile à faire parler son invité, dont s’était souvent la première apparition télévisuelle. Elle est morte en 1983 dans la misère et la solitude, tombée en disgrâce auprès du pouvoir et oubliée des artistes
qu’elle avait contribué à faire connaître. A Valenciennes où elle est enterrée existe depuis 2014 une rue Denise-Glaser; pourquoi pas à Arras, sa ville natale ? Et j’en viens à ce BLEU. Sa famille avait fondé et tenu jusqu’en 1967 « la maison bleue », un magasin de nouveautés et de confections en plein centre d’Arras, dénommé d’abord fort banalement « le coin de rue ». Pourquoi ce nom? mystère. Le quartier ayant été bombardé pendant la première guerre,famille et magasin s’était repliés près de la gare , boulevard Carnot, où Denise naquit . La reconstruction avait permis de remplacer l’immeuble antérieur sans attrait par une pimpante construction art déco au fronton fleuri. Durant la seconde guerre, le commerce fut « aryanisé », et « la maison bleue » était une adresse
à la sinistre réputation: y étaient installés les bureaux du STO qui faisaient la chasse aux réfractaires.
Revue de presse de 1871
Figures féminines :
Le Monde illustré a repéré (pour s'en gausser) un hommage de Sainte-Beuve aux épouses d’hommes de lettres : Quoi de plus touchant que de voir dans un intérieur simple, modeste, ce travail intellectuel de l'homme, ce recueillement et ce silence de la pense respectés, compris par la femme, qui, quelquefois même, dans un coin du cabinet et l'aiguille à
la main, y assiste! (25 novembre 1871). le genre de texto mortel pour les émules d’Alice (Coffin) et de Sandrine(Rousseau).
Dans la même livraison, en contrepoint d' un grand portrait de l’artiste, hommage appuyé à Pauline Viardot ( la sœur de la Malibran) pour sa nomination de professeur au Conservatoire de musique de Paris : En 1860, elle obtenait un nouveau succès dans l'Orphée, de Gluck, au Théâtre-Lyrique. Nous ne parlerons pas ici de la résurrection du répertoire classique, où Mme Viardot a déployé une intelligence d'élite, ni des nombreux concerts de charité auxquels elle n'a cessé d'apporter le concours le plus empressé. Tout le monde a entendu la voix si souple et si étendue de cet admirable mezzo-soprano, où le goût et la méthode égalent le sentiment et l'expression. On sait que Mme Viardot est l'auteur de plusieurs compositions importantes, d'un opéra en deux actes, le Dernier Magicien, et d'une opérette, l'Ogre
Et en avant-première (mais on reste dans le contexte de la guerre franco-prussienne et la résurgence des compositrices): 30 Novembre 1884: première de Lutèce, symphonie dramatique d'Augusta HOLMÈS à Angers. Non, ce n’est pas la sœur de Sherlock mais une anglo-irlandaise fortunée naturalisée française. De solides études musicales aves les plus grands, comme César Franck, l'admiration de Saint-Saëns, elle vit en ménage pendant quinze ans avec Catulle-Mendès (surnommé "crapule m'embête"par son beau-père Théophile Gautier ). Elle aurait dû se méfier, la fière Augusta : ils eurent cinq enfants et notre délicat poète parnassien l’abandonna quand elle fut ruinée. "Lutèce", dont à la façon de Wagner elle a écrit le texte et la musique, se veut glorification des vaincus Gaulois face aux Romains. L’allusion est transparente. On attend avec impatience un enregistrement pour pouvoir juger sur pièce.
Les "expiations" de novembre 71
La presse quotidienne depuis deux jours ne s’occupe que d’un événement : l’exécution militaire le 28 novembre à l’aube, dans le camp de Satory près de Versailles de Rossel, Ferré et du sergent Bourgeois. Ils avaient été jugés et condamnés à être fusillés en juin. Malgré les appels de tout bord , la Commission des grâces constituée d’une dizaine de députés versaillais avait refusé toute commutation de peine. Rapport du commissaire central de la police qui a assisté à l’exécution : "ROSSEL est tombé le premier, la mort a été instantanée ; 7 balles dont deux avaient traversé le cœur, l’avaient atteint en pleine poitrine - B0URGEOIS et FERRE avaient été moins bien visés ; trois balles seulement, dont les blessures n’étaient pas mortelles, les avaient frappés l’un et l’autre et ils ont dû recevoir le coup de grâce pour amener la mort. La contenance de ces
trois malheureux a été digne ; ils n’ont pas eu un moment de faiblesse."( cité par Maitron). Commentaire de Victor Hugo – Voilà la peine de mort politique rétablie. Crime. (Choses vues p.247) C’est surtout le sort du capitaine ROSSEL qui émeut et dérange l’opinion publique. Ferré est un communard patenté, révolutionnaire « de carrière » ; Bourgeois est inconnu. Mais ce militaire de carrière patriote, qui s’est échappé des prisons prussiennes, pourquoi a-t-il rejoint le camp des communards et de la populace ? Le 25 novembre, dans son dernier numéro avant d’être suspendu, le Rappel, (journal inspiré par Victor HUGO) s’inquiétait de la décision qu’allait prendre la commission des grâces: c’est une étrange façon de rendre la justice que d’avoir fait juger le capitaine Rossel , qui a voulu
sauver Metz [il avait mis au point une stratégie de contre-attaque qui fut rejetée par Bazaine] avant le maréchal Bazaine accusé de l’avoir livré. Mais ce serait un scandale sans précédent, nous osons le dire, de supprimer l’un des témoins les plus en mesure de faire la preuve d’un crime qui, ayant causé la ruine de la France, dépasserait à coup sûr, à lui seul, tous les crimes reprochés à la Commune. Personne ne peut songer à se jouer ainsi de l’opinion publique, en écartant du grand procès qu’elle attend impatiemment, l’un de ceux qui peuvent y faire la lumière
« L’expiation » ce terme religieux revient partout; en titre du Gaulois et du Petit Journal.
Est-ce avouer qu’il fallait à tout prix des boucs émissaires à une classe gouvernante, à une caste militaire qui avaient failli? Dans le double rôle de la victime et du coupable Louis ROSSEL est exemplaire. C’est une personnalité hors du commun, un homme cultivé, qui dessine avec talent– un stratège dérangeant, un républicain, un protestant, fils d’un colonel qui avait refusé de prêter serment à Napoléon III. Malgré son peu de sympathie pour la Commune le Gaulois se garde de tout triomphalisme, presque tenté dirait-on, par la pitié et sensible à la versatilité de l’opinion (oublieux aussi de ses propres variations) : « Versailles n’est jamais bien gai, surtout en hiver[…]; on ne rencontrait hier dans les rues que des figures abattues sur lesquelles une grande douleur était peinte. Malgré moi je me suis rappelé ces mêmes bourgeois, ces mêmes ouvriers hurlant après les convois de prisonniers pendant la Commune ; il semblait que si on les eût mis à mort à ce moment-là, la foule entière se serait ruée pour aider les exécuteurs. J’ai vu alors que tout s ‘oublie et s’oublie vite, en France surtout. Les otages assassinés, Paris en cendres, nos soldats massacrés, tout cela était loin. Il ne restait qu’un ou deux des nombreux complices de ces attentats et leur expiation a rempli de tristesse l’âme de ceux qui auraient été cinq mois auparavant leurs plus terribles juges »
L’événement engendre une grande frustration : tout s’est passé dans une enceinte fermée, devant une assistance réduite. Rien de comparable avec les exécutions capitales sur un échafaud dressé au milieu d'une foule nombreuse. Comment exploiter ce grand moment- impossible à traiter en direct , d'autant que le 30, ce n'est plus une nouvelle? Tout comme le Petit Journal, Le Gaulois fait sa Une et la deuxième page avec le récit pas à pas des derniers moments des condamnés et des phases de l’exécution. On se lance dans un surcroît de détails (comme le Petit Journal) on fait sa manchette d’un scoop (Le Gaulois): la reproduction pleine page en fac simile des ultimes mots écrits par Rossel ( obtenus comment?). Cependant pour l’essentiel, Le Figaro les a grillés: la veille il avait retardé sa parution jusqu’à midi pour publier le récit de l’exécution écrit par son collaborateur à l’imprimerie même dès son retour de Versailles à neuf heures . Le débat reste d’actualité : comment garder le juste milieu entre course au sensationnel et droit à l’information ? Faut-il dire toute la vérité ? On reproche en effet au reporter du Figaro d’avoir publié des détails choquants : un chien échappé de l’assistance est venu flairer (lécher selon certains) le visage de Ferré. Cet affreux détail est de la plus rigoureuse exactitude. Un fait de cette nature ne s’invente pas face à un cadavre. Le journal n’est pas peu fier de la stratégie qu’il avait mise au point pour être le premier à publier dès le matin même de l’événement « un récit qui se vendait dans tout Paris à midi et demi » ( au lieu du lendemain matin ou même le 30, comme son confrère Le Gaulois). Aucune fausse pudeur. « Le Figaro fidèle à ses habitudes de journal bien informé devait se mettre et s’est mis en effet en demeure de fournir à ses lecteurs tous les
détails rigoureusement exacts de cette scène lugubre. Telle n’est pas la manière de certains journaux bien-pensants, trop bien-pensants, sans nul doute, pour se permettre un luxe d’informations dont la clef leur manque ». Et de tacler vigoureusement un confrère , qui l’a pillé sans vergogne et joue les pères la vertu: la Cloche a imaginé un moyen neuf, ingénieux qui est une trouvaille : "Peu de monde assistait à ces exécutions. Nous empruntons au Figaro qui avait envoyé des reporters à ce spectacle, les détails qu’ils ont pu recueillir. Nous regrettons que ces curieux disent trop de choses. Il y a dans ces solennités lugubres des circonstances que la pudeur du public veut ignorer ; et les plus coupables, quand ils ont expié, deviennent respectables même pour des reporters. Nous ne tranchons rien. Nos lecteurs apprécieront". Là-dessus la Cloche reproduit notre article in extenso, ce qui, au premier abord, semble peu logique avec ses airs de dégoûté, mais ce qui au fond est d’une simplicité élémentaire : le lecteur est servi, tout le monde est content – et ça ne coûte rien. Et n’est pas plus difficile que cela ». Et pan sur le bec!
Autre "expiation," ce jour-là -à Marseille: Gaston CRÉMIEUX ( homonyme d’Adolphe Crémieux) avocat, principal acteur de l’éphémère Commune de Marseille, condamné à mort en juin par un tribunal militaire est fusillé dans les jardins du Pharo. Malgré l’insistance et les espoirs de Thiers, marseillais comme lui, la commission des grâces ne lui avait reconnu aucune circonstance atténuante. Victor HUGO : Gaston Crémieux qu’on vient de fusiller à Marseille était un beau et intelligent jeune homme de trente ans. Il était de la réunion des journalistes qui a eu lieu chez Charles à Bordeaux [son fils récemment décédé ]. Charles l’avait en amitié . Il laisse une veuve de vingt ans et trois enfants. ( Choses Vues p. 247)
Une chose reste sûre cette année : l’hiver est acheminé en ce jour de Saint-André.
Le 30 novembre 1921, il y a un siècle, j’ignore le temps qu’il faisait mais il est clair que Landru allait expier lui aussi, des crimes qui ne faisaient de doute pour personne
et perdre la tête malgré les pantomimes talentueuses de son défenseur dont Excelsior régale ses lecteurs.
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Colombe Schneck: « Denise Glaser est morte dans la misère et la solitude » - Bing video
Denise Glaser — Wikipédia (wikipedia.org)
ROSSEL https://maitron.fr/spip.php?article70102
FERRÉ : blanquiste très impliqué dans la direction de la Commune. Lors de son procès, il refuse de se
défendre https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9ophile_Ferr%C3%A9
BOURGEOIS : fils d’un sabotier de Dôle, il s’était engagé pour 7 ans dans l’armée. Exemple même du lampiste https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Bourgeois_(militaire)
Gaston CRÉMIEUX
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gaston_Cr%C3%A9mieux
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