1 7 O C T O B R E deux cents morts peut être...
.. dans la ratonnade de 1961 que j’ai voulu commémorer à ma façon. Car ce n’est pas le saint du jour
BAUDOUIN qui m’aurait retenu. Le prénom illustré par les Comtes de Flandre est connu de nos jours pour avoir été porté par le roi-malgré lui, Baudouin-à-la-triste-figure, contraint de monter sur le trône pour remplacer son père et sauver la royauté dont la moitié wallonne ne voulait plus à cause de la conduite de Léopold III : ce dernier , au mépris des traités avait lâché la France et l’Angleterre au pire moment de l’offensive hitlérienne de 1940, contraignant les anglais à un sauve-qui-peut acrobatique de Dunkerque alors que, durant la première guerre mondiale, son père Albert, le roi-chevalier, s’était battu en personne à la tête de ses soldats du côté d’Ypres pour contenir l’avancée allemande .
Ce 17 octobre 1961 est aujourd’hui sous les feux de l’actualité après des décennies de silence fait d’ignorance et de gêne . Probablement deux cents morts, des manifestants pacifiques jetés à la Seine, mitraillés ou battus à mort par la police française et ses supplétifs. Mais des citoyens
tenaces ont pendant des années accumulé des témoignages et permis aux historiens d’établir les faits. Il est bien sûr facile aujourd’hui de juger sévèrement la grande presse de l’époque ; néanmoins, le constat s’impose: elle a relayé sans broncher et orchestré la version officielle -évitant de faire la place au moindre doute. Ainsi Paris-Presse –l’Intransigeant: ie 19 seulement l’épisode reçoit le traitement qu’il mérite. Pleins feux alors :intertitres ou légendes inspirent la peur, « ils ont pris le métro comme on prend le maquis », « le déferlement des 20.000 musulmans dans les rues de Paris hier soir » , « ils sont descendus sur Paris », « à l’heure du cinéma ils passent à l’attaque »« la bataille de
l’Opéra ». La rédaction brode sans retenue sur l’idée (probablement juste, il faut le reconnaître) d’une manipulation des masses par le FLN, à l'exclusion de tout autre explication et prépare aussi le public à des révélations
– qui n’auront lieu que des décennies après , le préfet Papon peut dormir tranquille pour le moment: « la préfecture de police se demande si d’autres victimes musulmanes ne seront pas dénombrées dans la journée ». 3 morts officiels puis 6: ce bilan invraisemblable tiendra quarante
ans ! Les photos en une ou en dernière page – qui montrent la seule partie visible ou voyante des événements, ceux qui se déroulent en plein centre-, contredisent jusqu’à la caricature ces propos terrifiants : ici une foule pacifique, souriante , habillée comme un dimanche, là un cortège de manifestants arrêtés qui traverse mains sur la tête la place de l’Opéra , ailleurs des prisonniers assis –ou étendus (morts ?) sur des civières; un bus réquisitionné dans lequel montent
des silhouettes - pour quelle destination? Les titres à sensation qui coiffent ces photos ancrent l’idée d’une véritable guerre urbaine. Dans les jours qui suivent, pas une trace des témoignages sur ce qui s’était tramé dans les stations de métro fermées ou bien dans l’ombre, du côté de la Seine, près du pont de Neuilly où sont tapis les autobus de la police. L'AFP et ses photographes, on le sait maintenant, ne sont pas restés inactifs. Mais, dans les rédactions, autocensure et censure ont fonctionné à merveille.
Je me dois ici de rendre hommage à un élève de 1ère S du lycée Rodin, Djanet ( qu’il me pardonne s’il lit ces lignes, j’ai oublié son prénom ; j’avais aussi été le professeur de français de sa sœur. Je crois qu’il est devenu journaliste). Dans les années 80, pour préparer les élèves à la discussion qui suivait le résumé de texte, j’avais imaginé un quart d’heure hebdomadaire où chacun, à tour de rôle,
devait prendre la parole sur le sujet qu’il voulait. Aucune censure préalable de ma part, à nos risques et périls pour mes élèves et pour moi. Nous eûmes droit à un éloge improvisé du fer à repasser de la part d’une gamine en mal d’inspiration , tandis qu'une autre, sans sourciller, se lançait dans un exposé documenté sur le Sida en un temps où la recherche balbutiait encore. Ce 17 octobre 1961 donc: il ne suscitait d’intérêt que dans un petit cercle, mais, son tour venu, l’élève Djanet, motivé sans doute par son contexte familial , a su attirer l’attention de toute la classe sur cette réalité cachée, ignorée plus ou moins volontairement de beaucoup, rarement évoquée en tout cas. Certes, il ne risquait guère d’hostilité face à un public constitué de la progéniture de « bobos » majoritairement acquis aux idées de gauche. Il fallait cependant une certaine audace pour évoquer un épisode peu reluisant et douloureux de notre Histoire. Merci élève Djanet !
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Musée national de l’histoire de l’immigration: