1871 -1921 semaine sanglante
à chacun son cinquantenaire
1871
Dernières nouvelles,ultimes images de la normalisation grâce au reporter du Gaulois : Une ville occupée militairement mais la traque se poursuit sans pitié dans les chapelles funéraires du Père Lachaise – qui servent à l’occasion de popote. Les cadavres
disparaissent peu à peu dans les fosses communes, certains complètement dénudés sont mis en bière et photographiés dans une macabre mise en scène ambiguë : dernier hommage, voyeurisme, exemplarité du châtiment ? Les prisonniers continuent à affluer à Versailles, grâce à l'empressement des Prussiens qui empêchent toute fuite par le Nord et par l’Est de Paris. Bilan: 6.500 morts au bas mot selon la dernière évaluation qui reprend un chiffre longtemps contesté car il s'appuyait uniquement sur les registres d'état civil alors qu'en 1920 on retrouvait encore des fosses communes. 10.000? 20.000? En une semaine. On a lâché la troupe... Un mur au Père Lachaise, lieu des dernières exécutions sommaires va devenir un lieu de pélerinage, - le Mur des Fédérés.
1921.
50 ans ? ce n’est rien .. Aujourd’hui, il suffirait de remonter à 1971. De l’Histoire récente en somme mais une grande fracture devait brouiller le souvenir : la Grande Guerre et ses atrocités, son hécatombe humaine, ses bouleversements sociologiques rejettent dans les lointains la guerre franco-prussienne et les soubresauts qui en résultèrent. Autre difficulté dans la transmission : la saignée qu’avait opérée la répression chez les communards les plus déterminés; s’ajoutant à une espérance de vie d’à peine 45 ans, les anciens communards devaient être une espèce rare. Même si les quartiers populaires de 1920 gardent inscrit dans leur réalité matérielle le souvenir quasi inchangé du Paris de la Commune, cet épisode de quelques mois n’aura concerné que la capitale alors que la guerre franco- prussienne puis l’occupation des "uhlans" avaient bien davantage marqué les esprits dans les campagnes. Restait un impondérable qui , dans une couche de la société pouvait triompher de toutes les raisons objectives d’oublier : la vigueur d’un mouvement socialiste, qu’attestaient la Révolution d’Octobre ou le bouillonnement allemand, tout comme en France la virulence des des revendications ouvrières ... et des luttes intestines .
Facile dans ces conditions pour la presse grand public de trouver la parade : ignorer ou banaliser l'événement.
Silence du côté de L’Intransigeant, de Paris-Soir ou du docte Journal des débats. En Algérie, aussi bien l’Écho d’Alger que L’Écho d’Oran font un récit circonstancié de ce qu’ils dénomment sans détour « L’anniversaire de la Commune ». « Au Mur des Fédérés » titre (en première page ) Le Figaro du 30 qui assaisonne
son article de quelques remarques perfides « cortège moins bruyant que les années précédentes, et même monotone », qualifie les anarchistes de « sans-patrie » et se félicite de « la modération » constante de la police. La Presse journal du soir insiste le 30 sur les perquisitions qui visent la campagne antimilitariste du PC . Le Temps joue les pères la vertu dans l'esprit de "l'union sacrée": ton modéré et raisonnable, papelard en diable, pour récuser l’idée même de commémoration. Il s’en prend essentiellement aux socialistes – bien peu redoutables, empêtrés qu’ils sont dans leur dissidence; les communistes sont à peine nommés (ils répliqueront cependant vertement) : commémorer? - mais quels événements d’ailleurs ? - « d’anciennes luttes civiles » qu’il faut oublier « UNE MANIFESTATION » dès le titre le ton est donné. […] L'idée de l'hommage à rendre aux morts, à ceux qui se sont sacrifiés à une cause, fût-elle la plus détestable de toutes, est respectable en soi, et personne ne songerait à faire grief aux socialistes, qui se plaisent à se considérer comme les héritiers des hommes de la Commune, d'apporter simplement un pieux souvenir à ceux qu'ils appellent leurs « glorieux martyrs ». Mais nul n'ignore que le défilé devant le « mur » est, dans la tradition socialiste, autre chose qu'un hommage aux morts, qu'il est surtout une affirmation de la volonté révolutionnaire. […]. Le moment semble particulièrement mal choisi pour glorifier la Commune, alors que 1’union de tous les Français s'impose plus que jamais et que le devoir est d'écarter de l'esprit des foules tout rappel des anciennes luttes civiles qui ont si douloureusement meurtri la patrie […] Ce qui peut dresser les esprits et les cœurs les uns contre les autres constitue une faute grave à cette heure de notre histoire.
Bien évidemment, pour les frères ennemis de la famille de gauche, le rendez-vous est central. on bat le rappel de toutes les manières.
La SFIO et Le Populaire ont choisi le 22 mai, début de la semaine sanglante, et le monument aux morts de la Commune au cimetière Montparnasse, pour éviter l'affrontement ave les majoritaires qui l'ont emporté en décembre 1920 au Congrès de Tours. La plaie reste béante . La Une de ce 22 mai est particulièrement travaillée. Trois illustrations frappantes de la répression, les corps malmenés par la troupe ou qui tombent sous les fusillades. Au centre un poème de notre gloire nationale, réquisitoire terrible et message d’espoir
[…] Je dis que la société
N'est point à l'aise ayant sur elle ces fantômes.
Que leur rire est terrible entre tous les symptômes,
Et qu'il faut trembler, tant qu'on n'aura pu guérir
Cette facilité sinistre de mourir.[…]
La vie ouvrant de force un ventre déchiré,
A pour commencement une auguste souffrance. Victor HUGO (L'Année terrible)
Sollicité de témoigner (probablement par Léon Blum lui-même) le sulfureux Arthur Rimbaud délivre un message à la poésie sauvage et désordonnée. Léon, de son côté, signe un éditorial rassembleur où je note cette réponse anticipée par-delà le siècle à Pierre Nora (commémorer Napoléon oui, la Commune, non a décrété l’académicien, spécialiste estimé des lieux de mémoire) Si la République officielle était capable de quelque gratitude, elle fêterait leur mémoire avec nous au lieu de leur jeter l'outrage. Mais nous ne demandons pas pour eux la consécration des pouvoirs publics. Nous laissons au gouvernement l'anniversaire de Napoléon. Nous gardons pour nous celui de la Commune. Il reste notre bien et notre héritage. Sur les colonnes de droite, l’Histoire ressurgit : le « travail » des tribunaux après la répression, un témoignage sur le traitement des prisonniers à Versailles: parqués sous la pluie, au moindre geste, ils sont mitraillés.
L’Humanité du 29 fait son devoir de mémoire et de pédagogie: cinq colonnes à la Une« glorifions
NOS morts », éditorial «ce que dit le mur » accompagné d’une scène d’exécutions sommaires à la caserne Lobau (derrière l’Hôtel de Ville), appel au grand rassemblement
au mur des Fédérés du Père Lachaise. Le lendemain, Une triomphaliste du Parti sur le nombre de participants énumérés par sections de villes, départements, et syndicats « Un défilé de trois heures devant le mur » . Les photos mettent en valeur les différentes instances de l’appareil. « À tous les instants, du Mur, Camélinat lance un retentissant « Vive la Commune ! » auquel la foule répond par un magnifique « À bas la guerre ! ». Aucun discours, et pour cause: ‘c'est à cette condition que la manifestation avait été autorisée et le préfet en personne y veillait. "OPA "du Parti sur la Commune, sur le Mur des fédérés en tout cas….Il est vrai que la présence de Camélinat, « le bon papa Camélinat », « notre vaillant et
cher doyen Camélinat » et de quelques anciens de la Commune en chair et en os valent tous les ouvrages d’Histoire. Mais pourquoi ne figurent-ils sur aucun des trois clichés (de mauvaise qualité il est vrai mais pas de barbe blanche en vue) ? Je réparerai donc cet oubli, comme il fut réparé par la suite. On en retirera cette leçon : les "anars" , priés par les "gros bras" du parti de rengainer leur drapeau rouge se sont rattrapés en fondant sur un patronage qui passait par là à l’étourdi en revenant d’une procession de la Fête-Dieu ( mais deux cents jeunes scouts défilant dans le quartier clairon , tambour et drapeau tricolore en tête, était-ce bien raisonnable, et bien innocent, Monsieur le Préfet de police ?) ont justifié l’intervention de la police qui n’attendait qu’un prétexte et surtout, beaucoup plus grave, les perquisitions du lendemain…
Je veux rester sur deux images d’un mur Fédérateur , comme , il
l’était, avec gravité sous la houlette de Jaurès en 1909, et à nouveau au moment du front populaire, dans la joie débridée de 600.000 personnes lorsque, se côtoyaient, mariage de la carpe et du lapin Maurice Thorez tout sourires et Léon Blum agitant les bras .
Mais tandis que les classes populaires célèbrent leurs luttes passées et futures, en cette fin mai de 1921, du côté de Guermantes, antinomie parfaite du Paris populaire, une tout autre stratégie veut sauvegarder l’ordre des choses : dans les quartiers chics de l’Ouest on sait s’amuser intelligemment grâce aux galas de bienfaisance qui draineront des fonds afin « de recueillir des enfants pauvres, de leur donner une éducation conforme à leur condition sociale, d’en faire d’honnêtes gens, de laborieux artisans ». Et comme les hasards de l’actualité récompensent le fouineur, à des milliers de kilomètres de Paris, de l’autre côté de
l’Océan, grâce à la modernité d'Excelsior d’autres Frances surgissent : un cliché improbable en dandy fin de siècle adorné de deux "maous costos" de Georges CARPENTIER, gloire sportive de la boxe, une discipline qui enthousiasme la France entière, toute classe sociale confondue. Et du côté de la science, un génie qui doit sa gloire internationale à son intelligence , à son intuition et à son courage, femme exemplaire et mère de plein exercice : l’air pas commode, Marie CURIE se prête quand même au jeu de la séance photo sur le pont de "l' Olympic" avec ses deux filles, Irène - aussi boudeuse- appelée à marcher sur ses traces et Eve pianiste virtuose et diplomate, accompagnées d’une américaine beaucoup plus à l’aise avec les medias. Recevoir deux fois le prix Nobel dans des domaines scientifiques de pointe : un phénomène, qui méritait bien le titre de docteur honoris causa outre Atlantique. On ne va pas jeter la pierre aux "scarabées" de la Comtesse de Béhague qui n’ont eu que la peine de naître. À chacun.e sa croix et son karma.
Des raccourcis réjouissants quand même !
L’Huma du 29 mai : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4000486/f1.item.zoom
Le Populaire du 22 mai https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k817695n.item
Le Temps 21 mai : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k244382w/f1.item.zoom
Camélinat : https://maitron.fr/spip.php?article24586