Premier de l'an 1871
Saint Sylvestre et jour de l’an sinistres dans Paris assiégé. 104ème jour et un froid de loup . La Seine charrie des glaçons. Les assiégés ne savent pas grand-chose de ce qui se passe dans le reste de la France , sinon avec retard, et par le prisme plus ou moins volontairement déformant des journaux anglais, américains ou allemands qui parviennent. Et voilà que les Prussiens bombardent. Alors que les armées de la Loire et du Nord se démènent par -15° pour freiner l’ennemi, de folles rumeurs agitent les esprits à Paris. On mise sur Faidherbe dont les 90000 hommes seraient à Creil et feraient pression sur les Prussiens. En réalité Faidherbe s’efforce -avec bravoure mais sans véritable succès- de contenir les assaillants du côté de Péronne, Saint-Quentin et Bapaume. Le Gaulois partage l'analyse du gouvernement: ces bombardements marquent une nouvelle étape dans la tactique des Prussiens . Et voici qu'un autre danger se dessine: il vient de l’intérieur, selon le quotidien qui critique la ligne de conduite trop molle de Trochu – un honnête homme cependant- mais désigne ce qu'il pense être la vraie menace: les journaux extrémistes qui soutiennent les partisans de la Commune. Le mot est lâché. L'avenir s'assombrit.
Et maintenant âmes sensibles, sautez ces lignes. Le journaliste du Gaulois s’efforce d’y mettre les formes mais il faut bien dire les faits : Castor et Pollux ( deux éléphants d’Asie frère et sœur en fait) ont été exécutés - mais d'une façon beaucoup moins dramatique que ne le laisse croire une image d'Epinal. Débités , accrochés en morceaux impressionnants à des étals qui auraient fait la joie des surréalistes, ils finiront dans les assiettes de privilégiés. Les autres assiégés se contentent de civets de rats, de chats, de chiens accommodés avec talent sans doute mais oignons frits,
nappages épais de sauce forestière et autres artifices peuvent difficilement cacher l’origine des « produits » quand se dressent un peu partout boucheries félines et canines.
Prenons l’air pour la rituelle promenade du premier de l’an. En ces temps de confinement, nous sommes peut-être mieux à même de comprendre l’état d’esprit des parisiens du premier janvier 1871, heureux de se dégourdir les jambes et de se distraire au spectacle d'une capitale devenue un immense camp militaire
Le bois de Boulogne ressemble à n’importe quelle forêt où opèrent des charbonniers. La banlieue n'offre que des images de désolation.On se réchauffe comme on peut et ces prussiens avec leur souci extrême de propreté étonneront toujours les français.