25 août
. Avé l’assent ou sans ? SANS préconisait la commission de réforme de 1990 : aout. Tout nu? Personne bien sûr ne se conforme à la suppression de cet ornemental accent circonflexe qui donne quelque allure à un mot autrement quasi invisible au sein de cette suite baroque des mois de l’année. Encore qu’il se singularise, avant le pesant escadron des derniers mois, par sa brièveté et par une prononciation assez flottante, complétement déconnectée de sa graphie. Tout plutôt que d’être confondu avec des homonymes insipides, ces ou/où, simples outils grammaticaux peu propices aux fantaisies.
Août se termine donc. Messidor n’est plus à l’ordre du jour.Les moissons sont rentrées depuis belle lurette, de nos jours. En ce 25 août, Fructidor règne, et c’en est le 8ème jour.
Sous le signe de la Vierge, notre pulpeuse Pomone du Directoire récolte les fruits de son travail
(hypothétique) dans une élégante corne d’abondance. L’Art déco dans sa version populaire s’est emparé du nom pour répandre les formes rebondies et aimables des fruits sur maints services de faïence.
Ce 8 fructidor, c’est aussi et d’abord la Saint Louis, ce qui explique mon arrêt sur image : c’est la fête de mon père, Louis DEAUCOURT. Il aurait eu 101 ans - car c’est en même temps son anniversaire, puisque dans cette famille on avait trouvé commode de mettre les enfants sous le patronage du saint du jour : André naît à la St André, un 11 novembre, Geneviève venue au monde un 1er janvier hérite de sa patronne fêtée le trois. Louis aura les yeux bleus (virant au gris) et les cheveux blonds des DRUGY et des DEAUCOURT, la
profonde entaille au menton de son père et de sa grand-mère paternelle Laure RICHE. Et comment se nomme la maman du petit Louis, Marie, Léonard ici pris en photo à six mois ? Blanche évidemment. Comme Blanche de Castille la mère de Louis IX, la
régente du royaume - le caractère en moins car j’ai l’impression que ma grand-mère paternelle était complétement sous l’emprise du père de son enfant. Aucun faste royal bien sûr pour cette naissance, rien de paisible non plus, à mon avis. D'abord pour la famille où la naissance a lieu : après le décès précoce de Léonard, le père, en 1916, mère et fille ont dû tant bien que mal survivre en pleine guerre et conduire la ferme. Même si l’enfant est, je pense, accueilli avec amour, sa venue est une tache sur l’honneur des DRUGY –FROMENT : Blanche, malgré ses trente ans est célibataire et le mariage n’aura lieu avec le tout jeune père de dix-neuf ans que trois mois plus tard, à l’occasion d’une permission. C'est que, depuis avril, il est mobilisé dans l’artillerie du côté de la Champagne et ne sera renvoyé dans ses foyers que le 21 mars 1921.
En même temps, les circonstances extraordinaires qui depuis quatre ans mettent en ébullition ce village resté miraculeusement épargné par les destructions font passer au second plan l’éventuel scandale familial
En effet, ce 25 août 1918, l’interminable guerre qui n’en finit pas est en train de prendre un tournant décisif depuis l’arrivée des volontaires américains. Foch ce jour-là justement reçoit son bâton de Maréchal, ce qui lui doit d'occuper la Une du Petit Journal. Il coordonne avec tous les alliés et surtout les britanniques une grande offensive déployée sur plusieurs sites. Canadiens et Australiens servent de chair à canon pour la seconde bataille d’Arras et celle d’Amiens. Le petit village de Bavincourt, où Louis voit le jour, se situe d'un cheveu à l’arrière des combats mais plonge dans l’agitation générale : la guerre fait rage tout autour : Tincques, Dainville, Arras, Neuville-St Vaast, mentionnés dans son journal par l’artilleur canadien Bottomley sont à une vingtaine de kilomètres au Nord et les champs de bataille de la Somme, au Sud, à une trentaine. Le mouvement incessant des équipages, des camions et des affûts de canons met le village en sens dessus-dessous.
La circulation est très intense dans le pays, aussi en récréation les conversations ont pour objet les scènes vues en cours de route. Aujourd'hui ce sont de petits canons, des convois d'artillerie ; un autre jour, ce sont d'énormes tracteurs conduisant les pièces de marine. Une autre fois, ce sont les convois de blessés, les voitures d'ambulance. […] il y a tant à voir dans le pays: baraquements où logent les troupes d'infanterie, dépôts de munitions, réparations de canons, service de ravitaillement, fabrique de grenades, scierie mécanique... etc., toutes les prairies sont occupées. Septembre 1915 - Le village est occupé par un parc d'artillerie. Tous les jours, des convois vont ravitailler en munitions les canons qui sont en batterie […] Février 1916. Maintenant le canon gronde avec force. Les Anglais ont amené une artillerie formidable. Ils bombardent les villages occupés par les Allemands, mais ceux-ci sont tellement fortifiés qu'il est bien difficile de les en
déloger. Ce témoignage de la jeune institutrice d’alors, Marthe VAILLANT, sur les premières années du conflit à Bavincourt vaut toujours en cet été 1918 : l’artillerie est partout à l’offensive ; le grondement continue des canons déchire les airs, abîme les tympans, effraie les nouveau-nés. En ce dimanche 25 août, on participe comme on peut à la journée du Pas-de-Calais organisée par le préfet pour récolter des fonds destinés aux personnes déplacées billets de tombola, loteries, vente de cartes dessinées par Arthur MAYEUR. Quant à couper le blé qu’on a pu semer sur les rares terres laissées libres par les cantonnements, à le rentrer dans ces conditions, qui pouvait y penser ?
Pendant ce temps...
à quelques (milliers de) kilomètres de là près de Boston naît le jumeau de Louis, Marie, Léonard DEAUCOURT: un américain fils d’ immigrés juifs d’Ukraine, qui tiennent un prospère salon de coiffure: BERNSTEIN Léonard de son prénom le plus connu, mais qui selon Wikipédia s’appelait à l’ origine … Louis ! Les
similitudes s’arrêtent là car si maman adorait reprendre les airs à la mode, Papa n’avait pas l’oreille musicale ;
il affirmait chanter faux et ne connaître que le Vol du bourdon et l’air Nuit profonde de Rameau. Sans qu’il en ait jamais rien dit, j’ai dû probablement lui casser les oreilles à repasser cent fois West Side Story sur mon Pathé-Marconi -un grand frère de l’illustre Teppaz des sixties. La fameuse pochette rouge était bien fatiguée, écornée, déchirée à force d’en sortir et d’y remettre le vinyle ! Qu’on passe en boucle In America dans les EHPAD ! N’importe quel.le impotent.e en oublie ses infirmités et se prend un court instant pour Georges Chakiris, le vibrionnant danseur vedette !
Et voici une devinette à la manque comme on s’en posait dans les cours de récré autrefois : quelle différence y-a-t-il entre Le Nom de la Rose et Le Radeau de la Méduse ? Aucune : le Guillaume de Baskerville du film, Sean Connery, est né un 25 août (1930), et le tableau a été présenté au public le 25 août 1819, pile il y a deux cents ans.
Que faire maintenant de ma petite trouvaille généalogique, cet Abraham Louis
Ménétrier né le 25 août 1716 ? Ce n’est pas un parent. J’ai fait sa rencontre en fouinant du côté des Chantavoine, alliés à des miens
cousins. Ces Ménétrier ont prospéré dans les tanneries à Mussy l’Évêque (devenu platement Mussy-sur-Seine) en Champagne près de Chaource durant plusieurs siècles. En ce début du XVIIIè siècle, les Jacques, les Claude, les François Ménétrier remplissent les pages des registres de Mussy, tous cousins, maîtres ou marchands tanneurs, mégissiers, chamoiseurs.
Aucun Ménétrier n’est vigneron alors que la culture de la vigne assure les revenus d’une grande partie du bourg. Personne dans le village ne se prénomme Abraham ou Louis, sauf un cousin à lui né un peu plus tard en 1720 et décédé aussitôt. Mon natif du 25 août, j’ai eu beau chercher, je ne trouve de lui aucune autre trace que sa naissance. Les généanautes amateurs restent tout aussi bredouilles. Qu’il se prénomme Louis, un 25 août, pourquoi pas ? Mais Abraham ? Pas de (crypto-) protestants à l’horizon ni de juifs avérés en ce lieu, en ce temps. Cependant, un Abraham Louis existe bel et bien, parrain représenté du deuxième : c’est un Docteur en Sorbonne, résidant à Paris rue St Eustache, prêtre probablement, parent du côté maternel - sur lequel il serait intéressant de se pencher. J’ai mis la main sur lui trop tard pour aller plus avant aujourd’hui. Il ne perd rien pour attendre. N’est-ce pas ce qu’il fait depuis trois siècles ?
__________________ pour en savoir plus_________________
Récit de Marthe Vaillant sur Bavincourt dans la guerre. (Ma famille l'estimait beaucoup. C'est elle qui, au début des années trente, avait incité mes deux parents enfants de cultivateurs à présenter le concours des Bourses et ainsi persuadé les familles de les inscrire aux lycées d'Arras).
http://mairie.bavincourt.fr/wp-content/uploads/2014/07/guerre-14-18-r%C3%A9cit-de-Marthe-VAILLANT.pdf
Journées du Pas-de-Calais de 1916 et 1918 :
http://www.archivespasdecalais.fr/Activites-culturelles/Chroniques-de-la-Grande-Guerre/Albums/Les-gravures-de-guerre-d-Arthur-Mayeur/La-Journee-du-Pas-de-Calais
Léonard Bernstein :
http://brahms.ircam.fr/leonard-bernstein
America :
https://www.youtube.com/watch?v=YhSKk-cvblc