MARIAGES de MESSIDOR
1, 2, 3, S o l e i l
https://www.youtube.com/watch?v=Cxdi0ibQARs
- 11 juillet (1705) Jeanne GARET à Wailly-lès-Arras épouse Robert THÉRY
- 12 juillet (1820) Joséphine Florentine CARON de Beaufort près d’Arras s’unit à François Marie DAUCOURT
- 13 juillet (1831) la noce se passe en Bretagne, à Plounévez-Quintin Côtes-du-Nord (comme on disait alors) : Marie-Thérèse LE PILLOUER se marie avec Jean Sébastien JÉGOUIC.
Ce ne sont pas des moissonneuses de romance ou de carte postale; elles ne se pavanent pas sous leur ombrelle pour garder leur teint de lait. Des vraies. La peau tannée dès leurs jeunes années par le vent, le soleil et la pluie, abritées sous un grand chapeau de paille ou un fichu bien serré, les reins déjà en compote à se pencher sur la glèbe, éreintées de grossesses à répétition. À vingt-cinq ans, elles en paraissent déjà cinquante, comme dans ces photos en noir et blanc de la grande dépression américaine.
Jeanne GARET ouvre le bal – pas celui des débutantes car elle est veuve d’après son contrat de mariage de 1705 . C'est la Veuve mystérieuse car impossible de retrouver le nom du premier élu de son cœur, avec qui semble-t-il elle n’a pas eu le temps d’avoir d' enfants. Elle se (re)marie avec un veuf, sans enfant aussi . Après ce « galop d’essai », à 27 ans pour lui 30 ans pour elle, ils recommencent une nouvelle vie.
11 juillet 1705 Robert THERY relict de Marie LEFEBVRE demeurant à Wailly assisté de Augustin THERY son père, de Jean et Pierre THERY ses frères et de Pierre TAILLANDIER son cousin d'une part
- Jenne GARET Veuve, fille de feu Robert et de Cécile CARON demeurant au dit Wailly assistée de Sébastien et Jean GARET ses frères et de Marie GARET sa sœur d'autrepart
Robert THÉRY est fils d’un maître charron du village. Dans une dizaine d’années, l’ancêtre Antoine Jean-Michel DAUCOURT natif de Bapaume viendra s’installer là maître cordonnier. L’activité essentielle de Wailly est alors le maraîchage. Les « jardiniers » comme on les appelle travaillent les riches alluvions d’un ruisseau, le Crinchon. Le village se dispute avec Achicourt, plus proche d’Arras, le soin d’approvisionner en légumes la capitale de l’Artois, -une activité qui perdure jusque tard dans le XXème siècle. Le père de Jeanne est laboureur – avec toujours cette équivoque sur le sens à donner : ouvrier agricole ou propriétaire ? Son frère Sébastien est simplement « garçon jardinier » lors de son décès au mitan du siècle à … 80 ans. En dix ans, quatre enfants, résultats d’un contrôle des naissances tranquillement assumé malgré les enseignements de l’Église. Pas d’élévation sociale en vue ni de projet d’aller voir ailleurs : les deux garçons et un gendre sont manouvriers ou « batteur en grange » au village – des ouvriers agricoles bons à tout faire. La dernière fille, Marie fait un pas vers cette distinction chère à Bourdieu en épousant un maître tailleur.
Louis XIV meurt (pour finir), Louis XV meurt, Louis XVI a le cou coupé, la Révolution meurt, l’Empire meurt et sous peu l’Empereur- au loin, sur son îlot. 1820. Les revoilà, les deux Bourbon's Brothers plus habiles à fuir que leur naïf aîné. On Restaure. Et on réprime après l’assassinat du duc de Berry. Le Comte d’Artois n'est toujours pas Charles X, il s'en faut de quatre ans. Loin de cette agitation, en Artois,justement, le 12 juillet, à Beaufort près du chef-lieu de
canton Avesnes –Le-Comte (encore une allusion) et d’Arras, l’ancien siège des États d’Artois, c’est la noce au village : Joséphine CARON 23 ans épouse un couvreur en paille de 24 ans François Marie DAUCOURT. Les toits de chaume abondent dans la région jusqu’à la fin du XIXe siècle et pas seulement sur les granges. La tuile reste longtemps un luxe et plus encore l’ardoise. Le métier de François a dû jouer son rôle dans leur rencontre: ses chantiers l’amènent souvent à s’éloigner de ses bases. Il opère d’ailleurs en famille, avec son père et son beau-frère Hippolyte DELVAL, qu’il prend pour témoin. Ses parents à elle sont d’Avesnes et de Beaufort, des valets de meunier ou de charrue. Son père Alexis CARON, veuf de Clémentine- Florentine LANDRY ne doit pas être mécontent d’avoir casé leur cinquième fille. Lors de
mes débuts foutraques en généalogie, la découverte de ce mariage m’avait permis de
remettre sur pied une recherche qui partait dans tous les sens. Satisfaction très égoïste ! Mais eux, les tourtereaux ? Le bonheur sentimental n’était généralement pas la priorité – ce qui n’empêchait pas les sentiments mais ni Florentine ni son couvreur en paille n’ont eu l’idée de tenir un journal… Au fait savaient-ils écrire ? Lui signe avec effort. Quant à elle, comme la plupart des paysannes, elle est illettrée. Qu’importe ; ils fondent une famille – nombreuse comme celle où elle est née, selon un rythme assez courant : après les précipitations des débuts, un peu de sagesse vient s’installer et la surprise d’une naissance tardive : Angélina survient quand sa mère a quarante-quatre ans et sept grossesses derrière elle. L’aînée, Colombine court sur ses vingt ans. Elle court aussi le guilledou…C’est sa mère, illettrée - et non son père- qui vient déclarer la naissance de la petite Clarisse, fruit d’une longue liaison avec un ouvrier teinturier d’Amiens (ville alors renommée pour son velours) qui finira par l’épouser sept ans plus tard en donnant son nom aux deux enfants qu’ils ont eus. Il y en avait eu un troisième, mort trop tôt pour recevoir cette légitimation tardive. Que faisait-elle donc à Amiens ? Servante, comme une autre sœur. Une troisième est couturière à Wanquetin. Deux garçons sont ouvriers agricoles, un autre est « sans profession », (infirme peut-être ?) mais veuf à trente ans il se remarie avec une quasi sexagénaire - mariage d’amour (pourquoi pas?) - ou d’intérêt bien compris des deux parties? Quant aux petits-enfants – ceux du moins que j’ai repérés- ils se situent sur un large éventail, du mineur de fond chti à «l’artiste lyrique » parisienne !
Joséphine/ Florentine meurt avant d’atteindre la soixantaine, en 1852. Son François-Marie ne tarde pas à quitter le village et finit ses jours – j’ai eu du mal à le dénicher- à Wanquetin chez une de ses filles qui prend en outre une pensionnaire avec laquelle il paraît un temps entretenir une liaison (un recenseur se fiant probablement à leurs déclarations les dénomment même mari et femme).
Direction la Bretagne maintenant. 1831. Charles X à trop surjouer les rois a été contraint de passer la main à Louis-Philippe. On doute que la révolution de Juillet ait eu beaucoup d’écho au cœur d’une Bretagne profondément royaliste. C’est la veille du 14 juillet 1831, presque un an après les trois Glorieuses que Marie-Thérèse LE PILLOUËR et
Jean-Sébastien JÉGOUIC passent devant Monsieur le maire et Monsieur le curé. Les
noces en Bretagne, sujet favori des folkloristes et des séries de cartes postales de « la France pittoresque » : le balzavan (littéralement l’homme au bâton de genêt, c’est-à-dire l’entremetteur), le protocole subtile des cortèges, les tablées mémorables, les danses tard dans la nuit des coiffes et des gilets brodés, la soupe au lait qu’on sert bruyamment aux mariés. Ils ont connu tout cela. Ils sont jeunes, à peu près du même âge : ce n’était pas le cas de ses parents à elle issue du remariage d'un Yves Pillouer de 50 ans avec une Marie-Anne COURTOIS de 24 ans. Elle a eu 14 frères et soeurs mais les cinq derniers nés rendent l’âme à peine ont-ils ouverts les yeux. Vingt-six ans la séparent de sa soeur aînée. Du côté de Jean-Sébastien, mêmes familles nombreuses, mêmes hécatombes . Des douze enfants qu’auront eu ses grands-parents Sébastien et Louise, seuls deux leur assureront une descendance. Le jeune ménage n’échappe ni à la tradition ni à cette fatalité. Quand Sébastien meurt prématurément à quarante-cinq ans, ils ont eu neuf enfants en vingt ans. Les deux dernières années de leur vie commune sont marquées par la mort : le dernier-né de février 1853 ne vit que quinze jours ; au premier trimestre de l’année suivante, un mal mystérieux frappe tour à tour Jean, 5 ans, Jean-Louis qui vit trois jours et le père mi-mars. À quarante-deux ans, Marie-Thérèse est veuve avec 6 enfants âgés de 21 à 8 ans. En comptant sur le travail des aînés, arrive-t-elle à s’en sortir ? Impossible de la repérer avant 1872 où je la retrouve dans son village Sainte-Tréphine, installée chez un de ses beaux-fils aubergiste, avec Marie-Anne, sa soeur aînée, restée vieille fille ( un classique) après avoir aidé sa belle-mère élever toute une marmaille. C’est là qu’elle meurt en 1879, à 66 ans.
Bilan global plutôt amer pour ces noces de Messidor !