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terresdartois
28 juin 2019

1er juin Auguste et ses cuisinières

C'est l'été météo nous disent les spécialistes. Et ça chauffe. Un grand souffle brûlant de chergui ou de siroco. Tant pis. Séraphine TARTAR, sors de l’ombre! Arrive en pleine lumière pour une fois. Tu le mériterais  déjà  par ton nom, un attelage abracadabrantesque,  un exemple parfait d'oxymore  -pour puiser dans   la quincaillerie  "relookée" de la vieille rhétorique.

séraphine fleurs

séraphine yolande

Ton prénom  promet jusque dans ses sonorités les suavités ineffables  de tous les anges du paradis, le raffinement des fleurs  nées sous le pinceau de Séraphine LOUIS dite Séraphine, la servante  visionnaire qu’incarne Yolande MOREAU. Ton nom ?  Une rareté, cantonnée entre Saint-Omer et Aire-sur-la-Lys, une énigme pour les spécialistes, éventuelle référence aux riches draperies importées de Tartarie  ou de Turquie, et finalement un sobriquet pour désigner sans doute  un prétentieux paré à toute occasion, comme nous dit  GODEFROY dans son Dictionnaire d’ancien français,  d’un chaperon fourré de tartaire vert,  d’une chapelle de tartare vermeil, d’un garde cors de tartaire jaune  mais le sombre éclat barbare de la syllabe redoublée  renvoie tout autant, surtout au voisinage du  gratin des messagers bibliques,   au Tartare de la mythologie grecque, ce  gouffre des Enfers  que redoutent  les Dieux eux-mêmes. Syncrétisme surprenant, bien européen au final, non? II faudrait la plume savante et contournée du petit Marcel  ou du  subtile Roland (pas Garros, l’autre)  pour tresser en guirlande élégante toutes ces suggestions contradictoires qu’éveille ton nom alors que, frêle silhouette, tu n’as fait que passer dans le paysage des DAUCOURT.

          Donc ce 1er juin 1836 dès 9 heures du matin tu te maries à Wailly (à 10kms d’Arras) 

carte claire

wailly album de croy

Encore un village dont il ne reste aucune trace ancienne sinon dans les miniatures de l'Album De Croÿ

tartare 1836 signat

garçon brasseur bruxelles 1841belgique-5dsr_03065

car il a été entièrement  ravagé par les bombardements de la première guerre mondiale. Tu épouses   Auguste DAUCOURT, fils, petit-fils, arrière-petit-fils   de cordonniers établis à Wailly depuis au moins 1720. L’ancêtre maître cordonnier,  Antoine Jean Michel DAUCOURT, venait de Bapaume, une petite ville de garnison proche, avant de s’établir par son remariage dans ce village de maraîchers, de « jardiniers » comme on les nomme officiellement. Tu sais signer. Auguste aussi - moins bien toutefois que l'ancêtre né en 1700. Pas plus que ses frères  il n’est cordonnier mais garçon brasseur puis cabaretier.Il tient un "estaminet", salle de réunion, de jeux autant que débit de boisson

                  Malgré les prémices de l’été,  je doute que  la noce ait été joyeuse : Auguste a perdu sa femme  Marie-Josèphe ACCART, une payse, six semaines avant ; il se remarie avec l'héroïne du jour, une quasi quarantenaire dont  le principal attrait, je crois, est d’être là au bon moment, quand on a besoin d’elle : elle est cuisinière de métier, elle saura tenir le cabaret et, l’important, peut-être , lui donner des enfants car  l’unique progéniture du premier mariage, Marie Josèphe Stéphanie, n’a vécu que onze mois .  Mission accomplie in extremis  pour Séraphine : elle atteint la quarantaine quand naît Charles - la prunelle de leurs yeux on imagine, qui malheureusement meurt à 19 ans.

       Six semaines entre l’inhumation d’ACCART et la noce avec TARTAR,  j’y reviens car ce délai de décence si  court a du mal à passer:  la première épouse était-elle malade depuis un certain temps? Façon Contes de Maupassant, l’entourage avait-il mis en place « un plan B », guettant  avec une impatience mal dissimulée une fin programmée, un remariage avec une fille solide et sans histoires ?  Il est clair qu’on n’a pas fait de manières pour remplacer  la défunte au plus vite. Un point intéressant : l’ « heureuse élue » n’appartient pas au village. Elle est cuisinière à Arras. Pas une simple servante. Chez qui ? Un particulier ? Un restaurant ? Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Elle est originaire de Saint-Venant, l’arrière-pays de Béthune, la plaine de la Gohelle, ce futur bassin minier où commence à se dresser quelques chevalements. Comment Auguste l’a-t-il connue? Le garçon brasseur, même après son premier mariage n’a pas toujours vécu à Wailly : peut-être à Arras,  vers les villages, du côté de Saint-Nicolas, Sainte-Catherine ou Duisans,   quand il travaillait dans une des nombreuses brasseries de la ville, à fabriquer la bière, à la livrer aussi. Autre curiosité : contrairement aux  traditions, le mariage n’a pas lieu dans sa paroisse de naissance, qu’elle a quittée vraisemblablement  il y a belle lurette, ni à Arras où elle est établie.

       Alors, heureuse, Séraphine ?  Je réponds pour elle : Oui car, comme tant de domestiques que leurs maîtres contraignent  - ou incitent - au célibat, au fond, elle trouve là l’occasion de « faire une fin ». Aller vivre à Wailly, quitter la ville ? Il n’est pas sûr que cela lui coûte : c’est une fille de la campagne, dont les parents étaient cultivateurs. Et puis, le cabaret, "l'estaminet" lui permet de ne pas rester confinée dans sa cour de ferme. Les jours de marché à Arras, avec les maraîcher(e)s  du village qui

arras marché aux légumes-004

arbre épouses

multiplient  en carrioles les allers-retours à la ville, et ceux qui viennent de Rivière, un peu plus en amont du Crinchon, Wailly n’est pas un village refermé sur lui-même.Il y a du "passage".

« Faire une fin » ? Expression à prendre au pied de la lettre car la chose arrive dare-dare: mariée à trente-huit ans, Séraphine disparaît de  la scène 3 ans après. Son  fils n’a que deux ans. Et le même scénario se reproduit, avec la même distribution , le même décor: deux mois  après l’église et le cimetière, Auguste repasse à la Mairie et à l’Église pour la troisième fois, en compagnie d’une cuisinière  encore, en place à Arras , toujours, et originaire elle aussi des environs de Béthune, Honorine VANNIUS. Nom étrange souvent mal reproduit par les scribouillards du recensement, orthographié  ailleurs comme Van Hiusse: origine flamande en vue. Elle a un âge canonique pour l'époque : 46 ans. Elle appartient probablement au même réseau de connaissances que s’est tissé Auguste dans ses tournées de brasserie à Arras  et dans la Gohelle : parmi les témoins figurent un charcutier d’Agnez-les-Duisans, un « homme de confiance » d’Arras originaire d’Ablain-Saint-Nazaire. Honorine tient donc le ménage, élève l’enfant unique tout en s’occupant du cabaret qui s'anime un peu le dimanche ou les jours de marché à Arras avec le va-et-vient de charrettes et de baudets  dès l’aurore. Mais l’affaire tourne tout doucement: Auguste redevient journalier. Honorine a fait venir Julie sa sœur plus âgée,  et infirme dit le recensement de 1866 .

      1866: dernière date répertoriée de ces existences minuscules en pleine débine désormais. Auguste est décédé  l’année précédente; avec lui s'évanouit toute trace  de créatures fugitives, ses deux épouses et sa petite de onze mois, Marie-Josèphe Stéphanie;     le visage de Charles  s'estompe dans les mémoires.  Les deux sœurs sont indigentes « secourues par la commune ».Julie meurt en 1867 à 84 ans. Aucune trace d’Honorine dans les villages dont elle est originaire ou à Arras.

Heureusement, nous bûmes bien frais. Un grin bock de Coq Hardi ou de Motte-Cordonnier. Une Pélican, brune ,peut-être?

 

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