piqûre de rappel
ma manif du 19 février.
Actualité oblige et le hasard d’une opération « place nette » : dans un cahier de recherches de 2017, je tombe sur une rubrique « vivre à Romanswiller » consacrée aux WALTZ, une famille alliée à la fin du XIXe siècle à mon cousin Émile GOSSART. Une longue histoire dont j’ai déjà abordé plusieurs aspects dans ce blog (tags Waltz, Walz, juifs d’Alsace).
Il y a une synagogue à Romanswiller, un cimetière
juif aussi. J’espère que l’un et l’autre échapperont à l’imbécillité profanatrice. Je ne les ai jamais vus. Je les connais parce que Romanswiller est le berceau des WALTZ. Aucun rapport avec Jean-Jacques WALTZ plus connu sous le pseudonyme de Hansi. Ils ne s’appelaient pas WALTZ ni WALZ à l'origine.
C’était un temps où les juifs ne se transmettaient pas toujours un nom fixe mais, comme dans beaucoup de sociétés traditionnelles, on ajoutait à son prénom la formule « fils/fille de ». Coutume très agaçante pour une administration « moderne » – et pénible pour les généalogistes. L’Islande perpétue la tradition mais en France Napoléon "protecteur -à poigne- des juifs" y a mis bon ordre en 1808 dans son « décret de Bayonne ». Plus tard il fut imité par l’administration coloniale . Furent donc ouverts des registres de « prise de nom » dans les départements de l’Est. Pourquoi le patriarche a-t-il choisi WALZ ? Le nom est courant dans l’Alsace d’alors, porté par des familles recensées comme catholiques ou protestantes. Le décret interdisait tout prénom ou nom tirés de la Bible.
Abraham fut un citoyen zélé. Rien ne l’obligeait à changer : des KAHN, BLUM, DREYFUS, LEVY ont
souvent gardé leur nom traditionnel hébraïque, qui d’ailleurs fonctionnait déjà comme un nom de famille transmis de génération en génération. La famille d’Abraham était exactement dans ce cas : tous se nommaient Joseph. Nom trop biblique ? Mais Joseph n’est-il pas le nom du père nourricier de Jésus-Christ ? Les « JOSEPH » ont donc décidé d’être des WALZ, des français obéissants, prêts à se mouler dans le modèle qu’on leur proposait, le prix à payer pour leur « régénération » comme disait l’abbé Grégoire, pour sortir du ghetto social, géographique, mental où les maintenaient aussi bien les non-juifs pétris d’a priori que leurs propres religieux qui craignaient de ne plus avoir la même emprise sur leurs esprits. Tous les WALTZ ne saisissent pas les possibilités d’ascension sociale. On reste colporteur, en tournée toute la semaine, ferrailleur, marchand de bestiaux, boucher, prêteur peut-être encore, même si la pratique est largement décriée. Seul Lehmann (1809-1880) ose amorcer pour lui et sa descendance un parcours remarquable de réussite « républicaine » quasiment idéale. Il rompt avec l'ancien monde confiné et quitte Romanswiller pour Colmar. Il choisit d’être instituteur et avec sa femme, sage-femme, il fonde une famille qui croit à l’instruction moderne. Leurs fils Adolphe (1840-1926), et Émile (1848-après 1901) ont de belles carrières. Émile, engagé dans le journalisme devient grâce à son engagement républicain après la défaite de 1870, un de ces cadres sur qui le jeune régime peut s’appuyer avec confiance : il est sous-préfet dans divers départements. Son frère Adolphe (1840-1926), plus brillant et moins dilettante sans doute s’offre un parcours universitaire parfait depuis le lycée de Colmar : Paris (Charlemagne, Louis le grand), l’École Normale Supérieure, l’agrégation, et après divers postes de lycée et une thèse de latin , professeur à la faculté de lettres de Bordeaux , tout en mettant durant son passage à Mont-de-Marsan, une belle pagaille dans le milieu conservateur avec son Avenir Landais qu’il fonde avec quelques remuants collègues. Après 1871, il opte pour la France, fait venir à Paris ses parents.
Sa femme, apparentée au capitaine Dreyfus, était décédée prématurément. Ils eurent deux fils, universitaires eux aussi, spécialisés eux aussi dans les littératures gréco-latines, Pierre (1878-1945) dans le monde grec, René (1875-1959) du côté de Sénèque. C’est comme cela que je l’ai rencontré (ainsi que ses fils) à un double titre, comment étudiant de lettres classiques, et comme cousin éloigné de son beau-fils Émile GOSSART dont j’ai raconté ailleurs le périple. Il est mort en 1926, décoré depuis trente ans de la Légion d’honneur, à 86 ans, dans le 16ème rue du Dr Blanche, si appliqué à être intégré dans le monde de son temps (malgré son intérêt pour le monde gréco-romain) qu’en 1880, déclarant le décès de son père, il ignorait complétement le nom de ses grands-parents colporteurs décédés une cinquantaine d’années auparavant ( en 1828 et 1838).
Monde idéal ? Pas d’antisémitisme ? Que si. Je n’ai rien lu qui permette de dire qu’Adolphe eut à en souffrir dans sa carrière. Seul un esprit paranoïaque donnerait une telle dimension à l’incident relaté par La Lanterne (17-1-1908) Mais son frère, Émile, le sous-préfet, essuya de plein fouet les attaques de la presse conservatrice de son époque. Les deux fils d’Adolphe eurent des fortunes diverses : à Lyon, René, qui après la guerre afficha son prénom complet officiel de René-Isaac, régna sur les lettres classiques et… le scoutisme régional en plein régime de Vichy, cependant que sa femme Henriette protestante convertie au catholicisme se consacrait à des mouvements chrétiens d’éducation populaire. À Clermont-Ferrand, moins de chance pour Pierre WALTZ, doyen de la faculté de lettres. Malgré ses gages de loyalisme, il fut une des premières victimes des mesures anti-juives décrétées par Pétain. Révoqué en décembre 1940, il ne récupère sa chaire qu’en 1945. Il décède peu après.
Retrouver quelques bribes de ce passé, les faire connaître. Voilà ma contribution
Requiescant in pace