le mois de MAI
MAI 2018
C'est le mois de Marie, c'est le mois le plus beau*
En panne d’imagination ? Jouons encore à l’almanach, si rassurant avec ses certitudes inscrites dans le cycle immuable des saisons. Celui que j'utilise (en fait un manuel de leçons de choses) a beau dater de 120 ans, les paragraphes 3 et 4 énumèrent des faits assez peu contestables - encore que... Mais ce mois-ci on se lâche: Exaltation, euphorie sont de mise . Cuissart et Cavayé, auteurs si austères d’ordinaire, entrent en transe comme des gnawas de la place Djemaa el Fna en fin d'après-midi quand la chaleur devient supportable. Leurs phrases tourbillonnent au rythme de l’accumulation lyrique pour décrire l’abondance répandue sur la nature et le jardin. Comme hors d’eux-mêmes, ils montent aux cieux avec l’alouette, un oiseau mythique pour la plupart d’entre nous. Je me souviens pourtant (on dirait l'oncle Paul des vieux numéros de Tintin) en avoir vu une dans mon enfance s’élever droit dans le ciel : tous les moissonneurs avaient interrompu leur besogne pour suivre des yeux son ascension vertigineuse et son « chant d’allégresse ». Alléluia. Dans leur délire prophétique, nos compères imaginent un laboureur qui « prend ses vacances » comme si 36 et les congés payés se profilaient déjà à l’horizon et s'appliquaient illico au monde agricole. Il en faudra pourtant des manifestations et des morts pour en arriver là.
Et pas plus tard qu’un an après la première édition du livre , au 1er Mai 1891, à Fourmies (http://www.genealexis.fr/cartes-postales/fourmies.php) : dix morts dont huit de moins de 21 ans, tirés à bout portant comme des lapins. Parmi eux, l’ouvrière Marie Blondeau, 18 ans :
vêtue de blanc elle tenait dans ses bras une gerbe d’aubépine.
Ce sont des guirlandes d'aubépines qui entourent le trio des revendications ouvrières sur la couverture que Granjouan imagine pour L’Assiette au Beurre. Trois figures féminines s’avancent en tête d’un cortège en arrière-plan hérissé de faux et de piques. Leur nudité allégorique (entre Delacroix et le futur art socialiste) commémore le martyre de Marie Blondeau, devenue le symbole des victimes innocentes de la répression.
Par la suite, les manifestants du 1er Mai arboraient à la boutonnière le triangle rouge des revendications ou une églantine rouge. Barrès** dans ses Cahiers qualifie les socialistes et les communistes d’églantinards, un néologisme suffisamment cacophonique pour disqualifier ceux qui osent s’approprier une fleur charmante au nom si harmonieux. La police était chargée de les repérer. Émotion lorsqu’ aux archives de la Police je tombe sur une de ces minuscules fleurs de tissu. Elle sommeillait, un peu fripée, dans les plis d’un tract revendicatif, scrupuleusement recueillie et cachée comme entre les pages d’un herbier.
Églantine? Muguet?**
Les clochettes ont gagné, pourtant bien toxiques. La tradition anesthésiante (revisitée par Vichy) du muguet porte-bonheur s’est mêlée, voire superposée dans un sourire mièvre et des dentelles fin de siècle à la fleur révolutionnaire symbole des combats pour un avenir meilleur .
Est-ce vraiment un hasard si le grand chambardement de 1968 a eu lieu en Mai? Avec ses violences, ses répressions, ses joies, ses espoirs insensés, cette révolution qui ne voulait pas prendre le pouvoir fut pour beaucoup une grande fête du printemps (car le soleil de la journée donnait aux nuits une douceur insensée) où l’on pouvait tout remettre en cause, au moins le temps d’une AG houleuse et enfumée- à condition de se tenir à l’écart du théâtre des opérations au Quartier Latin. Deux mois après encore, quand les trottoirs du boulevard Saint Michel dépourvus de leurs
magnifiques platanes n’offraient plus qu’un bitume tout neuf, l’esprit de ces journées flottait encore aux terrasses des cafés et des restaurants. On se parlait de table à table entre inconnus; on refaisait le monde; on abordait les grandes questions de l’existence, du bonheur, du sens de la vie, de la place de l’argent… Et quoi qu’en veuillent (faire)croire certains, 79% des français ont une image positive de Mai 68 selon un sondage «digne de foi ». Aussi positive probablement que celle qu’ils retiennent désormais de leur président Chirac, surtout lorsqu’il se livrait au tranquille rituel folklorique et républicain du 1er mai:
il offre à la personne de ses pensées ( la première dame évidemment) un brin de muguet qu’il choisit soigneusement dans l’énorme gerbe offerte au Château par les Halles (de Rungis). Beau cliché de notre monarchie bourgeoise en mode Louis-Philippe, si habile à sauvegarder les apparences, à respecter la tradition même quand les Forts des Halles ont disparu depuis le transfert du marché à Rungis. Car le rite a su faire de la résistance. Il a survécu à la chute de la IVe République un jour de mai 1958, le 13, juste un an après la cérémonie présidée par un René Coty bonhomme, qui, mine de rien, ne s'est pas contenté d'inaugurer les chrysanthèmes ou les corbeilles de muguets puisque c'est lui qui a rappelé le Général aux affaires. Dix ans passent. En 1967 mon Fort des halles psychédélique sait son vaste chapeau en sursis, tandis qu’il écoute Charles de Gaulle annoncer le transfert des Halles à Rungis. Mais le président qui lui annonce cette fin programmée de la tradition est à cent lieues d'imaginer que l’année suivante il aura lui-même bien du mal à comprendre et à maîtriser la Chienlit de MAI.
En Mai fais ce qu’il te plaît.
Le dicton est bien connu. Un slogan efficace: comment ne pas écouter cet appel à la liberté souligné par une belle assonance? Décidément ce mois n’a pas laissé indifférents nos aïeux. Il a nourri leur imaginaire bien plus que les autres. Avant de commencer ce nouveau blog, je n’avais aucune idée de la richesse du folklore, des traditions et même des événements attachés au cinquième mois de l’année. À soudain y réfléchir d’ailleurs, l’étymologie de ce mot de trois lettres reste bien floue: « le mois de MAIA, divinité italique fille de Faunus et femme de Vulcain » répète-t-on de site en site; on précise parfois que cette nymphe obscure, liée à la fécondité, a été assimilée à une Maïa grecque future mère d'Hermès (le Mercure latin) qui attendait son heure (la venue de l’irrésistible Zeus) au fond d’une caverne. Je ne suis guère convaincu: d’où sort-elle?, et à quel titre choisir une quasi-inconnue pour patronne? *** Qu’importe! Il est bon que mai, le joli mai garde le mystère de ses origines.
Une autre surprise m'attendait grâce à ma « méthode », qui est de partir le nez au vent. A l’origine, je n’avais donc nulle intention de plonger dans la symbolique de Mai. Le Web m’a guidé - une fois de plus. Je ne suis pas trop mécontent du détour. J’avais pour vague idée de dégotter dans ma base généalogique quelque mariage ou couple un peu insolite ou intéressant. Le résultat pour le moment ne me paraît pas d’un intérêt certain. Cependant en fouillant dans les résultats de ma requête « Mai » je me suis aperçu que le folklore qui lui est attaché veut transmettre sur le mariage des mises en garde en réalité assez contradictoires pour que
chacun(e) sache y trouver de quoi justifier sa conduite et ses choix. Mai ressasse-t-on est le mois des accordailles: le jeune homme accroche une guirlande, ou plante un mai devant la porte de la jeune fille de ses pensées. Promesses oui, déclaration quasi officielle soit mais stop, rien de plus. Car en même temps une superstition veut que les mariages conclus en Mai soient ratés : misère, infortunes conjugales, enfants tarés. Au contraire, attendre Juin, c’est mettre toutes les chances de son côté.
Je ne vais pas jouer au démographe. Je me contente d’un constat à partir de mes données. Elles portent sur 1691 unions datées avec précision et réparties entre l’Artois (qui prédomine), la Bretagne et le Morvan. Un échantillon assez large je crois, essentiellement rural. Qu'en ressort-il? Le conseil de se marier en juin a fait un flop. Novembre est le mois préféré, sans doute parce que les travaux des champs marquent une pause. Récoltes faites, on peut aviser en sachant sur quoi compter: les fermages sont payés, les baux sont reconduits depuis la Saint-Michel ( 29 septembre); la deuxième vague de contrats de louage a lieu à la Saint-Martin le 11 novembre. Février vient en deuxième place, au cœur de l’hiver, que viennent égayer les festivités de la noce.
En troisième position voici MAI : pour convoler, les amoureux sont restés sourds à des superstitions qui remonteraient à l’Antiquité nous dit-on. En Mai fais ce qu’il te plaît : le dicton a été entendu au-delà de conseils de vêture, comme un appel à s’amuser, à jouir de la vie, à se mettre en harmonie avec une nature qui explose de promesses et invite au renouveau, sans aller jusqu'à la frénésie et la cruauté des rituels païens du Sacre du printemps **** justement créé en mai, le 29 mai 1913 au théâtre des Champs- Élysées.
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*https://www.youtube.com/watch?v=DI5fi5hHEIU On peut sur ce site écouter la musique du fameux cantique dû au père Louis Lambillotte (1797-1855). La notice concernant cet honorable jésuite belge ne fait aucune mention de cette œuvre si populaire, commente avec dédain sa production (abondante mais médiocre) de cantiques et ne retient que son travail de chercheur : il a redécouvert et publié un fac-simile du plus vieil antiphonaire connu (VIIIe/IXe siècle), un recueil de chants grégoriens bien caché à l’Abbaye de Saint-Gall.
** Les grands esprits se rencontrent: l'académicienne Danièle Sallenave vient justement de publier un ouvrage L'égantine et le muguet chez Gallimard ( voir le Monde du mercredi 27 avril 2018)
***Barrès Cahiers T.11 (1917-18)
**** http://forum.arbre-celtique.com/viewtopic.php?t=4858. Ce site reprend un peu toutes les interprétations et s’appuie sur certains documents
***** https://www.francemusique.fr/musique-classique/tout-ce-que-vous-avez-toujours-voulu-savoir-sur-le-sacre-du-printemps-de-stravinsky-34830. Article bien informé. https://www.youtube.com/watch?v=5UJOaGIhG7A. Plusieurs interprétations prestigieuses.