Sainte Catherine
Je sais : nous sommes le 30 novembre. Hors délai mon billet. Mieux ou pire: je ne suis pas sûr de parler de la sainte ni de catherinettes. Je comptais trouver dans mes données une Catherine qui sorte un peu de l’ordinaire. À croire que l’inspiration était engourdie par le froid de retour : rien de passionnant dans mes listings desséchés – ou alors je n’ai pas su les faire parler. Et puis en épouillant mes fichiers j’ai retrouvé une vieille connaissance qui m’a réservé quelques surprises. Elle ne se prénomme pas Catherine mais Colombine – ça rime finalement. J’imagine assez la Colombine du théâtre sous les traits de cette catherinette des années cinquante: soubrette piquante et rusée, paysanne délurée habile à prendre les manières des dames chez qui elle sert et prompte à mener par le bout du nez ce lourdaud d’Arlequin, ce pleurard de Pierrot.
Dans un hypothétique casting, je doute que malgré son prénom, Colombine DAUCOURT ait eu quelque chance d’obtenir le rôle: car son destin n’a rien de glorieux ni de romanesque, malgré, cependant, sa part de mystère. « Domestique » comme disent les recensements, fille de ferme ou souillon en vérité, plutôt que servante maîtresse, je la vois mal aussi pimpante que ma catherinette de carte postale à l’œil rieur et aux joues roses. Plutôt les traits tirés de fatigue, la peau basanée et recuite par le soleil et les intempéries, pauvre fille usée et abusée …mais qui sait jusqu’à quel point, car finalement elle retombe sur ses pieds comme on va voir.
Colombine DAUCOURT ou DOCOURT est la sœur de mon trisaïeul paternel Augustin Denis. Un an les sépare. Future aînée de huit enfants, elle naît le 14 avril 1821 à Beaufort, un petit village de 288 habitants en 1820 (avant sa fusion avec Blavincourt) près du chef-lieu de canton Avesnes–Le-Comte mais à l’écart de la route royale Arras- Amiens. Arras est à 25 kms, Amiens à 50. Son père, François Marie est couvreur en paille. Colombine ? Un prénom rare. Par quel mystère cette irruption de la commedia del arte au fin fond de l’Artois? Comme un héritage inconscient de la liberté révolutionnaire, dans cette famille, quand il s’agit des filles, on n’hésite pas innover : on rompt le fil d’une transmission, on ne cherche pas à faire plaisir à une parente. En outre, ici, la mode des terminaisons romanesques en –ine a des antécédents du côté de la mère, Joséphine Florentine CARON. Grand-mère se prénomme Clémentine, une sœur va s’appeler Célestine (ou Célinie, les scribes hésitent), il y aura ensuite une Élisa et pour finir une Angelina. Les garçons n’ont pas droit à ces fantaisies : le premier né porte bien selon la tradition le prénom du grand-père, Augustin-Denis ; ensuite on ose quand-même un Jean-Baptiste et un Zéphyr, beaucoup plus original qu'on reprendra à qui mieux mieux. Pour ses propres filles, Colombine joue l’originalité flamboyante comme pour effacer avec panache l’opprobre de ces naissances hors mariage : Célinie, Clarice, Angelina (1845-1892) puis Sidonie Louise (1852-1853). Effet d’un souci populaire de distinction puisée dans les feuilletons à quatre sous que la mère, même illettrée (elle ne sait pas signer) connaît par ouï-dire? On songe aux fameuses filles Thénardier baptisées Éponine et Azelma par Hugo, sans compter Euphrasie le vrai prénom de Cosette (le prénom de sa mère Fantine sonnerait plutôt à l’instar de Fanfan, Fanchon comme un diminutif de Françoise). Le fils sera plus platement un Zéphyr.
Affaire classée donc : dans tous les recensements et tous les actes que j’ai pu trouver l’héroïne du jour apparaît constamment sous la dénomination de Colombine. Mais alors, mézalors pourquoi(re)devient-elle à 70 ans une Catherine des plus ordinaires dans l’acte de décès de sa fille en 1892? En tout cas in extremis je retombe sur mes pieds -sans l’avoir fait exprès! C’était peut-être son prénom usuel ? C’est bien possible: l’arrière-grand-père DRUGY que tout le monde appelait Léonard n’existe que comme Siméon dans les actes officiels sauf dans un acte de vente qui spécifie Siméon dit Léonard. Pour Colombine/Catherine la question reste en suspens : pour l’heure, je ne sais toujours pas où elle est décédée.
Je n’en ai pas fini avec ma lointaine cousine. Elle m’a donné du fil à retordre. À l’image du reste de la tribu d’ailleurs, qui disparaît définitivement de Beaufort en 1861. Je savais où s’était installé mon ancêtre direct Augustin Denis : à Saulty. Après avoir battu consciencieusement jusqu’au harassement tous les villages de la région je finis par retrouver François le père (entre temps veuf) et le ménage de sa fille Élisa à Wanquetin, Célinie deux fois mariée à Gouy-en-Artois, Zéphyr faisant de son côté souche à Noyelle-Vion, encore «valet de charrue» mais tous ses enfants vont bientôt prendre le chemin des mines en plein essor. Dans cette drôle de famille, la Colombine réussit à se distinguer avec à son actif trois enfants naturels. De quoi jaser dans le pays ! Deux sont nés à Beaufort chez ses parents : Clarice née le 15 novembre 1845 est élevée par ses grands-parents au moins jusqu’en 1851, Zéphyr né deux ans après, le 3 avril 1848, ne vit que 21 mois. Je n’ai découvert l’existence (brève: 9 mois) d’une Sidonie-Louise (née en le 14 juillet 1852 à Amiens -Amiens ?) que la semaine dernière au hasard d’un site de rencontres (généalogique). Encore une enfant naturelle. Imp(r)udente Colombine ? Esprit libre ? Pauvre fille ne sachant pas résister aux invites ? Et pourtant femme mariée. Je le savais depuis un certain temps : l’acte de naissance de sa première fille Céline-Clarice-Angélina précisait « naissance légitimée par le mariage de Colombine Docourt avec François AUBY le 29 novembre 1852 ». Soit. Zéphyr, mort avant ce mariage ne pouvait être reconnu, et la dernière alors née juste avant le mariage? - qui suis-je pour juger? Dirai-je benoîtement. Oui mais quand même ! Colombine ! Et manque un point essentiel dans cette information: OÙ le mariage a-t-il eu lieu? Impossible de mettre la main sur le couple au cours de mes virées (virtuelles) dans les registres aux alentours de Beaufort. J’ai fini par renoncer.
Ne jamais s’avouer vaincu. Le temps a passé. Je me suis abonné à Geneanet le site a évolué et de nouvelles informations apparaissent. Un clic désinvolte (genre on-ne-sait -jamais) sur Clarisse Docourt et j’apprends -quinze ans après la création de sa fiche- tout à la fois sa mort à Puteaux le 18 avril 1892 – quel chemin parcouru depuis Beaufort Pas-de-Calais!- , son état d’ »artiste lyrique », et de clic en clic que son père François Auby – ça je le savais- et sa mère Colombine se sont mariés à …AMIENS ! J’ai tiré un fils et j’ai découvert le pull tricoté par François AUBY (merci à lui). Pendant que moi j’étais dans l ’impasse, lui avait accès à tout ce qui concernait son ancêtre. Miraculo ! Miraculo ! Alléluia
L’acte de mariage est explicite :
[…] reconnaissent qu'il est né d'eux deux enfants le premier inscrit sur les registres de Beaufort 15 nov. 1845 sou les nom et prénoms de DOCOURT Célinie Clarice Angelina et le 2ème à Amiens pour l'année courante le 14 juill. DAUCOURT Sidonie Louise lesquels enfants ils reconnaissent pur leurs filles(AD 80. Amiens 5MI D188 1852 n°408 vue 412) Trois témoins sur quatre sont des ouvriers teinturiers, collègues de travail du mari.
Mais l’affaire se complique : AUBY est veuf de Sophie RIQUIER qu’il a épousée à Amiens en 1826. Ils ont eu une fille, Lucie Alexandrine (26.11.1833 Amiens- 25.2.1890 Ailly/ Somme) Elle meurt le 10 avril 1837 à Paris dans le 8è ancien. Quand, comment
Colombine a-t-elle rencontré AUBY ? à Amiens probablement où elle est allé se placer. Mais la retrouver par le biais des recensements dans cette immensité est impossible. Au moment de leur mariage, ils habitent dans le quartier Saint Leu au Nord de la cathédrale, 51 Chaussée Saint- Pierre. Rien ne subsiste des immeubles de l’époque. Si Colombine n’a que 31 ans à son mariage, AUBY a largement dépassé la cinquantaine (55 ans pour être exact) lorsqu’il lui passe enfin la bague au doigt. Pourquoi ont-ils attendu aussi longtemps pour régulariser leur union qui a commencé au moins en 1846, huit ans après la disparition de la première femme d’Auby ? Les patrons de Colombine n’acceptaient peut-être pas une femme mariée chargée d’enfants. À moins que l’obstacle soit à chercher dans la famille de la première femme, les Riquier qui pouvaient voir d’un mauvais œil le remariage du père de leur petite-fille avec une future marâtre tentée de privilégier ses propres enfants. Le syndrome de Cendrillon.
Clarisse meurt le 18 avril 1892 à quatre heures du matin chez sa mère âgée de 70 ans 42 rue Poireau à Puteaux. Elle est célibataire. L’acte lui donne trente-sept ans : sa mère se trompe de dix ans. Artiste lyrique ? Soyons clair : c’est une dénomination cache-misère pour désigner une fille entretenue sinon carrément sur le trottoir. Mais après tout, peut-être se produisait-elle dans un beuglant ou dans les cours. La révélation est toute fraîche et je n’ai pas eu le temps de pousser plus looin mes investigations.
Pour finir, un document vraiment curieux : l’acte de décès de François AUBY, ce père que j’ai mis des années à identifier
le seize janvier 1876 à midi acte de décès de François AUBY teinturier âgé de soixante-dix-neuf ans décédé avant-hier à six heures du soir en son domicile 49 rue de la Croix à Puteaux […] marié à Sophie Riquier sans profession âgée de soixante-dix-neuf ans même domicile que le décédé .( AD 92 Puteaux D 1876 vue 4 n°10)
Colombine est passée à la trappe : en son lieu et place l’employé municipal ou le maire adjoint a ressuscité Sophie Ricquier, la première femme dont le décès a dûment été enregistré à Paris en 1837 (40 ans auparavant) Erreur administrative de taille et triste oraison funèbre pour cette « Catherine » dont j’ignore toujours le lieu et la date du décès. Pas à Puteaux en tout cas. « Colombine ou la disparition »