OCTOBRE écoles d'autrefois
Octobre écoles d’autrefois
Vacances dites de la Toussaint. En profiter pour revenir sur quelques images de l’école d’autrefois.
Un peu figés ces gamins, les bras croisés mais plutôt avec naturel: rien à voir avec les bambins endimanchés posant un peu plus bas pour la photo d’apparat de 1905. Visages sérieux mais ouverts et même souriants. Pas beaucoup de blouses mais de gros pulls tricotés par maman avec la laine commandée à La Redoute. École de garçons. La moitié de la classe est vide. Pourquoi? Sans doute pour permettre un cadrage plus serré, on a décidé de ne photographier que deux travées à la fois. La pratique rompt avec la traditionnelle photo de classe où les enfants regroupés dehors dans la cour de récréation ou sous le préau s’alignaient en rang d’oignons.
Le mobilier est d’une solidité à toute épreuve et tous les pupitres d’une travée sont solidaires : pas question de s’amuser aux classes mouvantes. Pas question non plus de s’avachir sur ces sièges sans confort au dossier raide à vous éreinter. Un petit élément de confort que je n’ai pas connu : le crochet sur le côté pour y suspendre la « gibecière », la « carnasse » au lieu de la laisser traîner dans l’allée ou entre les pieds. Le couvercle du pupitre se rabattait ou comportait un casier pour y mettre les fournitures qu’on n’emportait pas chez soi. je ne vois qu'un seul encrier pour deux : une belle occasion de disputes ou de coups en traître lorsque chacun avait comme par hasard en même temps que l’autre l’idée ou le besoin de tremper la plume dans l’encrier. Cité des Marronniers, à Arras, -une école à classe unique- on était tour à tour de semaine pour remplir les encriers de l’encre violette que le maître préparait, essuyer le tableau, rapporter du bûcher un seau de charbon ou le bois pour allumer le poêle. Comme sur la photo, le Godin trônait en plein milieu de la salle, entouré d’un grillage. J’ai le souvenir d’après-midi d’hiver où la fonte (fendue) était rougie à blanc tellement on l’avait rempli jusqu’à la gueule. Une certaine torpeur nous envahissait, produite autant par la chaleur que par l’oxyde de carbone mais il y avait des jours suffisamment larges sous la porte d’entrée et aux fenêtres pour nous éviter l’asphyxie total ! Dans le Grand Meaulnes, il me semble qu’Alain Fournier décrit ces après-midi où tout le monde flottait, à moitié intoxiqué. Les cartes murales me semblent bien archaïques, plutôt là d’ailleurs pour le plaisir du maître que pour l’instruction des « jeunes esprits » puisqu’elles ornent le mur du fond. Une date? 1955 ?
J’adore la leçon d’écriture ci-dessous. Elle court en fait sur quatre ou cinq photos, une vraie petite BD avant l’heure.Un premier août ? Pour les besoins de la séance, ils ont dû faire des heures supplémentaires car il me semble
bien que l’école s’arrêtait au 31 juillet (en théorie car plus d’un enfant avait déjà déserté, réquisitionné pour aider à la moisson). Rappelons-nous le combat épique de l’institution contre le crayon bille qui paraît-il incitait la main à la mollesse et à une écriture relâchée sans pleins ni déliés. Avec une craie, ce n’est pas à la portée du premier Mélenchon venu (il s’était aventuré avec sa craie à faire une démonstration d’écriture à l’ancienne avant de se rendre compte, dépité, que c’était quasiment mission impossible).
Il faut un véritable artiste pour
obtenir ces superbes tableaux d’écriture s'offrant tout en même temps comme modèles de calligraphie et de morale. Forme et fond allaient de pair pensait-on. De la tenue: pas une lettre avachie ou un bras de traviole et la France récupérera l’Alsace et la Lorraine ? Toujours mauvais esprit l’Assiette au beurre (N° du 4 décembre 1909) ne s’y laissait pas prendre, au risque de faire un couac dans ce concert de louange d’hier et d’aujourd’hui sur un certain âge d'or de l'école. Pour sa une, le journal a choisi un maître d’école mains enchaînées, revers de manche garnis de deux galons « caporal de la Troisième République » : il se croit quelque chose, il n’est que prisonnier d’impératifs contradictoires et de grands mots dévalués comme la fameuse devise « liberté fraternité,... inégalité ».
Avec les images suivantes on plonge au milieu du 19ème siècle, avant l’école obligatoire, et dans des écoles rurales. Ce qui frappe c’est la misère des locaux (d’ailleurs, même sous la IIIème République, instituteurs et inspection d’académie devront souvent batailler pour obtenir des maires des locaux décents).
Ici, se mélangent « pièce à vivre » comme on dit dans les magazines de décoration et "local professionnel" : la commode, le lit et son énorme édredon; un gros poêle de faïence alsacien ou vosgien pour chauffer la salle. Du moins l’autorité du maître d’école trouve-t-elle son symbole dans l’estrade et le bonnet d'âne; le sol est planchéié, une grande table commune et des bancs assurent un semblant de confort. L'image proposée par Lyonnet (éd. Istra vers 1935) devait servir de support à un exercice de vocabulaire et de rédaction sur "l'école d'autrefois" afin de sensibiliser les enfants de CE2 aux progrès réalisés, sans pour autant les renvoyer à une vision trop négative du passé.
Élève LAVISSE Ernest
« l’instituteur de la troisième République » comme on le surnommait aimait s'adresser aux enfants. Dans ses Souvenirs ou ses Nouveaux discours à des enfants il revient à plusieurs reprises sur son école du Nouvion en Thiérache vers 1848. J'ai trouvé le premier extrait dans le livre de lecture cité plus haut
L’illustrateur a souligné la misère du local, son manque d’agrément et d’hygiène, l’absence de tout confort pour les enfants. Du moins s’agit-il d’un lieu entièrement dédié à l’enseignement. dans le second texte, Gabet (publié par Hachette à la même époque) a choisi dans les Souvenirs du maître l’arrivée du jeune Ernest dans une pièce aussi peu attrayante que possible. Le vieil historien-pédagogue a sans doute voulu rendre plus palpable son désarroi de "petit nouveau" tout en ne ratant pas l'occasion de souligner les progrès opérés par la IIIème République . L’image veut accentuer une singularité et un dénuement qui dans les villages ne devait pas tellement offusquer élèves, parents,- ou maires souvent logés à la même enseigne. D’autres images glanées ici ou là insistent de la même façon sur la promiscuité et le mélange des genres où privé et public se confondent sans offusquer quiconque en fait.
. Voici dans une pénombre esthétique mais malsaine une classe installée dans une étable:on devine dans la pénombre le cul d’une vache - une présence qui réchauffe la pièce comme
on voyait naguère encore dans plus d’un chalet de montagne - tantôt dans un capharnaüm insupportable pour un esprit rationnel, imprégné d’hygiénisme et de théories sur l’attention comme dans cette litho dont j’ignore malheureusement l’origine mais datée par une inscription au tableau de 1872 : d’un clair-obscur peu propice à l’étude ressortent drapeau français,, palette de peintre, crucifix, suspension, hardes personnelles, lit de curé ; un poêle au long tuyau comme dans les ateliers d’artiste est sensé réchauffer les corps ;
deux bambins en sabots y sont accotés en compagnie d’un chien ; un maître broussailleux semble surveiller une tablée d’élèves assis sur un robuste banc à peine équarri : ils sont tranquillement occupés à écrire ou rêvasser sur un grand double pupitre collectif. Au mur, le tableau noir sur lequel le lithographe a inscrit une date (1872) et un titre (je distingue le mot Instituteur), des panneaux éducatifs pour apprendre à lire dans le cadre de l’enseignement mutuel, je pense. Une ambiance assez studieuse finalement et patriotique.
Bien éloignée pourtant de la vision proposée par les éditions A. Colin dans un tableau pédagogique Delmas, le n°1. Osons paraphraser Baudelaire et lui faire subir les derniers outrages, lui qui a eu l’école en détestation Là tout n’est qu’ordre, beauté - celle de l’ordre en tout cas, luxe (certainement car l’espace, la lumière et le fonctionnel sont rares dans l’habitat populaire et rural des deux derniers siècles), calme - studieux en tout cas, volupté? C’en est trop ! Vade retro satanas! Vastes espaces, grande hauteur sous plafond, larges baies vitrées ouvertes. La perspective idéalise à tout va ! Rien d’autre ne distrait le regard de la parole du maître que les tableaux pédagogiques dont l’immense mur est largement pourvu. Mais les élèves ne sont pas au garde-à-vous: on les a voulus dans des attitudes variées: deux au tableau dessinent des figures géométriques, un autre debout récite sa leçon ; au premier plan on s’interpelle d’une table à l’autre ; au fond quatre petits bien sages. Dehors, je repère une partie de saute-mouton, à droite, dans une grande salle vitrée règne un désordre plus artiste: des moulages au mur, les enfants sculptent semble-t-il sous la houlette de deux moniteurs. Redingote, barbe ou moustache et même hauts de forme sont de rigueur dans cette école de garçons. Et toujours le Godin au milieu. Et voilà, je me suis pris au jeu de l’exercice d’élocution et de rédaction. Piégeux Delmas !
Pour la rentrée (des vacances de Toussaint) je compte sortir de mes réserves quelques manuels.