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terresdartois
7 novembre 2017

Lehmann & Paul-émile

 

 

 

Lehmann et Paul-Émile

Honneur aux instituteurs.trices (comme l'usage commence à s'en répandre) pour ce blog d'octobre.

octobre incipit 048

Actualité (d'autrefois) oblige en effet: la rentrée des classes était au siècle dernier un vrai « marronnier » pour le 10ème mois de l'année. 1948, je rentre en CE1. Les marrons jonchent le sol, précieuses boules bosselées rouges et brillantes. De l'acajou qu'on adore caresser ...ou lancer sur les copains. À l'école un élève-maître (je fréquente ... Cité des marronniers à Arras une annexe de l'école « d'application » Ferdinand Buisson) nous apprend à chanter La feuille d'automne / Emportée par le vent/ En rondes monotones/ tombe en tourbillonnant. Une vraie nouveauté puisque la chanson, malgré ses allures anciennes venait d'être créée en 1943.

 

Des instituteurs, j'en compte une soixantaine dans ma base de données de fils et filles de paysans, sans compter ma mère, institutrice remplaçante avant son mariage. C'est elle qui m'a appris à lire, me dispensant de CP. J'ai choisi de m'arrêter sur deux instituteurs, que tout oppose jusqu'à la caricature, même s'ils ont un lien - bien caché, je dois dire. Paul-Émile GOSSART et Lehmann WALZ.

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école 1909 recadré-002

Paul-Émile GOSSART (1860-1920), un lointain cousin, est né à Bavincourt, en Artois, de parents petits cultivateurs. C'était en 1860, sous le second Empire. Il est cousin-germain avec un Émile GOSSART, dont j'ai ailleurs détaillé un parcours qui le mène de Bavincourt à Bordeaux comme universitaire décoré spécialiste de physique et d'électricité.

      Malgré l'exemple de son parent, Paul-Émile a eu beaucoup moins d'ambition:  se satisfaisant de son état d'instituteur il a creusé son sillon dans son département  d'origine, le Pas-de-Calais: marié à une institutrice avec qui il a trois enfants, il occupe différents postes: Billy-Berclau ("dans les mines" comme on disait)  près de Lens, Hamblain-les-près un village à l'Est d'Arras, Puisieux, gros bourg aux confins de la Somme. Il termine sa carrière professionnelle comme directeur d'école, exerçant dans des conditions autrement moins précaires que le maître d'Ernest LAVISSE au milieu du siècle. À la retraite il applique au pied de la lettre l'expression « cultiver son jardin »: il opère un total retour à la terre dans son village natal: il y avait fait bâtir une ferme ; il se déclare « cultivateur » au recensement de 1911 et son fils reprendra l'affaire. Voilà véritablement un comportement réactionnaire au sens premier du mot. Paul-Émile n'a cédé qu'avec réticence à l'appel de la ville et à l'intellectualisation.

         

 

 

       Lehmann WALZ,naît sous Napoléon Ier à Romanswiller près de Strasbourg en  1809. il meurt à Paris en 1880 alors que la république s'installe dans ses meubles sous la présidence de Jules Grévy, Gambetta étant le président du Conseil. Voilà qui dit tout d'une trajectoire en parfaite adéquation avec le grand mouvement d'émancipation des Juifs d'Alsace à la fin du XVIIIème siècle. Première étape: gagner la ville, cet espace si longtemps interdit par les autorités administratives mais dont se méfient aussi les instances religieuses les plus traditionnalistes.  Quand il naît en 1809, son père Abraham JOSEPH et son grand-père Haïm JOSEPH, colporteurs à Romanswiller, viennent comme tous les autres membres de la famille, de troquer leur nom mobile de HAÏM ou de JOSEPH pour celui transmissible et intangible de WALZ (francisé plus tard en WALTZ). Nul caprice: il faut se conformer au décret impérial de « prise de nom ». Vingt-sept ans plus tard  à son mariage en 1837 on le retrouve instituteur à Grüssenheim, village distant d'une vingtaine de kilomètres de Colmar. Il épouse Odile LEVY. C'est une élève sage-femme née à Soultzmatt (à 40 kms au Sud de Colmar) mais vivant depuis longtemps à Colmar avec sa famille .

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colporteurs juifs d'Alsace 1790

Une famille probablement acquise aux idées modernes que diffuse la vie citadine. Par l'enseignement qu'elle reçoit, Odile  se place aux avant-postes de l'hygiène du temps. Après son mariage, elle continue à exercer son art. Quant à Lehmann, il se soucie d'intégration au point de d'ajouter un prénom chrétien , Jean, à son prénom traditionnel. Instituteur? le titre recouvre alors en Alsace  des réalités très différentes: exerce-t-il dans un établissement confessionnel traditionnel (hébreu, lecture et interprétation de la Bible)? J'en doute, vu les études que suivront ses enfants. Plutôt dans une école moderniste (au programme: outre la Bible et l'hébreu, les rudiments du français, de l'allemand, et des sciences). Cependant en 1837 à Grüssenheim l'instituteur se nomme Samuel Klotz (titulaire du brevet du 2è degré) ; il a 37 élèves ( http://judaisme.sdv.fr/synagog/hautrhin/g-p/grussenh/ecole.htm )  Reste la troisième possibilité, toute simple: Lehmann est instituteur public. Un indice:  lorsqu'il déclare la naissance de son fils Adolphe, il se fait accompagner de son beau-père Isaac LEVY  et de Joseph PICARD, instituteur, fort probablement un collègue dont le nom n'évoque aucun enracinement juif. 

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          Le couple s'installe à Colmar, rue Grenouillère (1839), rue Étroite (1846), rue de l'Ange (à partir de 1848). C'est le centre ancien, près du couvent de dominicaines qui abrite désormais le Musée Unterlinden et son fameux retable d'Issenheim. Sept enfants.  Odile exerce toujours son métier de sage-femme, d'après les recensements successifs.  Je ne connais que la date de naissance de Pauline, Henriette et Jules. Victorine la dernière-née se marie à Paris avec un ébéniste suisse. S'agissant d'Émile (1848-1904), je repère sa trace comme journaliste en 1879 à Nevers puis comme sous-préfet à Ruffec, Gray, Dax,  cible de virulentes attaques antisémites dans la presse catholique locale et dans la Libre Parole de Drumont. François est négociant rue de l'Échiquier à Paris en 1874. 

            

     C'est Adolphe (1840-1926),que je connais le mieux. Il profite à plein de l'ascenseur social et culturel mis en place par la monarchie de Juillet puis le Second Empire. Brillant élève à Colmar puis à Paris, agrégé, après plusieurs postes en lycée à travers la France, il s'installe dans une carrière universitaire  à Bordeaux comme spécialiste de littératures latine et grecque. Pour sa retraite il choisit Paris où il a séjourné à plusieurs reprises, où vivait une partie de sa famille et de sa belle-famille. Son ancrage professionnel dans le passé ne l'empêche nullement d'être engagé dans son siècle:

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il a été un républicain de combat. Comme son frère Emile il a tâté du journalisme: en 1870, après la défaite de Sedan, avec quelques autres professeurs en poste comme lui à Mont-de-Marsan, il a animé un comité républicain, il a créé et dirigé l'Avenir Landais puis  le Patriote Landais qui  remuent  la vie politique locale et  contribuent à l'élection de deux députés. Il s'est marié avec une Dreyfus apparentée au capitaine et sœur de Camille-Ferdinand Dreyfus, un publiciste député radical  au destin agité et malheureux (c'est lui que vise l'article de La Libre Parole).

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Il aurait pu figurer parmi ces Fous de la République auxquels Pierre Birnbaum a récemment consacré un ouvrage. Ses deux fils (l'un et l'autre décorés de la croix de guerre) sont aussi des universitaires : René (qui adopte officiellement sur le tard son prénom complet René-Isaac) fait carrière à Lyon comme (en autres activités) traducteur et éditeur de Sénèque.

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Avec son autre fils Pierre il a écrit un manuel de vulgarisation des littératures anciennes. Pierre est un helléniste réputé, un travailleur acharné qui s'est attelé seul à l'édition et la traduction de  l'Anthologie Palatine pour la collection Budé. C'est par lui que j'ai un très lointain rapport avec cette famille: il avait épousé une fille d'Emile GOSSART, collègue d'Adolphe à Bordeaux.  Il s'active dans la politique locale du côté des socialistes.  Il est une des premières victimes de la rupture du pacte républicain auquel avaient adhéré avec ardeur les juifs de France: doyen de la faculté de Lettres de Clermont-Ferrand, il est révoqué en 1942 en application des lois antisémites promulguées par Vichy. Il meurt peu de temps après avoir retrouvé sa charge en 1945 

En 1870 l'Histoire avait déjà eu l'occasion de bouleverser la vie des membres de  la famille WALTZ dans leurs fidélités   d'alsaciens et de  français. Après la défaite de Sedan, l'Empire allemand annexe l'Alsace et d'une partie de la Lorraine. Le traité de paix  oblige les populations annexées  à choisir, à "opter": s'ils restent, ils deviennent allemands et perdent la nationalité française. S'ils veulent la garder, s'ils "optent" pour elle, il leur faut partir. 50.000 choisissent l'exil dans les départements voisins, à Paris, ou en Algérie. Nombre de WALTZ  sont restés. Lehmann et Odile, se rangent avec leurs enfants dans le camp des « optants »; ils quittent Colmar et s'installent à Paris où vit depuis longtemps une partie de leur famille. Ils y meurent, lui en 1874, à leur domicile rue d'Enghien, elle en 1880 chez un de ses fils, négociant boulevard Magenta.

    Belles réussites sociales pour les petits enfants du colporteur Abraham. L'intégration aurait-elle comme  prix l'oubli total des origines? Quand Adolphe déclare à Paris, en 1874, le décès de son père Lehmann, il est incapable de dire le nom de ses grands-parents.

 

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Commentaires
W
Adolphe Waltz a eu trois fils et non deux.<br /> <br /> René, Pierre et André mon grand père (journaliste et diplomate)
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