J comme JOSEPH
Jésus, Marie, Joseph! On se lance dans les bondieuseries ? Ce qui m’occupe, c’est seulement le prénom, et une singularité du Pas-de-Calais -plutôt de l’Artois- en la matière.
Prénom démodé nous dit sans ambage la statistique: il a atteint son pic de popularité en 1908. En fait dans les registres du Pas-de-Calais, il est rarement employé seul ou comme premier prénom. D'ailleurs, contrairement à d’autres provinces où le prénom unique était de rigueur, on aimait volontiers les prénoms multiples. Bien des raisons à cela. Autour du berceau du nouveau-né se pressent toutes les bonnes volontés de la famille et de l’entourage pour multiplier sur sa tête la protection des saints patrons. Et puis il importe de faire plaisir aux uns et aux autres et de ne fâcher personne; on s’honore du parrainage d’un notable local, de sa fille ou de sa femme dont on espère tirer quelque bénéfice. Il faut enfin sacrifier à la tradition de donner à l’aîné le prénom du père ou grand-père. Le résultat, surtout au 19è siècle: au moins trois prénoms officiels. Vu ces contraintes sociales, ils sont loin d’être les prénoms souhaités et usuels. Voici Hyacinthe, Louis, François GOSSART, communément dénommé Hyacinthe. Son fils aîné ajoute à Émile Eugène, François. Une des filles de celui-ci, née en 1892 est tout simplement Renée mais l’unique fils est bardé d’anges gardiens : André, Marie, Hyacinthe, Georges. Déjà au 18è, mon ancêtre maître cordonnier a toujours été dénommé, a toujours signé scrupuleusement Antoine, Jean, Michel DAUCOURT. Sur un acte de baptême de son dernier fils, la diversité est de rigueur. Le père porte fièrement ses trois prénoms (mais comment l'appelait-on au juste, dans la vie de tous les jours?). Son fils ne se nomme que Théodore mais le parrain est nommé et signe Théodore Emmanuel, la marraine s’appelle Jeanne Françoise.
Tant que les identités ne sont pas figées dans le livret de famille (à la fin du 19è), le flottement est de rigueur dans l’orthographe des noms propres mais aussi dans le choix et l'utilisation des prénoms figurant sur les actes, ce qui ne simplifie pas l’identification lorsque les documents sont succincts. À mes débuts dans la généalogie, une surprise m’attendait: aucune trace de l’arrière-grand-père Léonard DRUGY dans les registres. Seulement un Siméon. Or c’était manifestement la même personne. Le doute, s’il était permis, fut levé le jour où me tombait sous les yeux un acte notarié précisant Siméon DRUGY dit Léonard. Siméon était la reprise traditionnelle du prénom du père. Rien dans la transmission familiale ne peut m’expliquer ce prénom d'usage Léonard qui avait complètement effacé le prénom officiel. Dans la même famille on m’a toujours vanté une tante Léontine femme de mon grand-oncle Constant DEAUCOURT. Sur sa tombe trois plaques (c’est ce qu’assurait mon parrain Lulu mais je n’en ai vu que deux), avec les mêmes dates rendaient hommage à Léontine, à Augustine, qui se faisait en outre appeler Alphonsine selon Lulu. À l’état civil elle était Augustine, Marie, Catherine.
Dans ce nuage de prénoms autour de la fragile créature venue au monde -parfois pour si peu d’instants-, Joseph occupe une place à part dans notre Artois. Qu’on recherche son patronage pour les garçons, normal : DAUCHET Pierre Joseph (1754-an III), CLERET François Louis Joseph (Saulty 1844), CHEMINEL Valentin Joseph (Couturelle 1751-1752), THÉRY Philippe Joseph (Wailly 1726) mais chez nous, dans un grand souci d’égalitarisme, on le charge aussi de la protection des filles. Parfois on le féminise dans un souci louable de cohérence: Théry Marie Josèphe (Wailly 1736) ou allant plus loin SOLON Marie Anne Joséphine (Pommier an X) mais d’ordinaire il se présente carrément au masculin comme, symétriquement, dans certaines régions, Marie protège les garçons : Théry Marie Madeleine Joseph (Wailly 1739) SOUAL Anne Joseph ( Bapaume 1706) RAISON Robertine Joseph (Foncquevillers 1852). Certaines familles – ou villages ont une véritable passion pour ce patronage.
C’est d’ailleurs au 19é siècle selon Wikipedia que cette dévotion populaire favorisée par l’Église atteint son apogée. L’imagerie qui s’est répandue autour de la Nativité l’a peu à peu sorti de son relatif anonymat. Père nourricier dans la trinité de la Sainte Famille, il symbolise des valeurs familiales épurées de toute sexualité dérangeante. On le représente donc avec la fleur de lys (celle de la virginité de Marie) et la gourde du voyageur en souvenir de la fuite en Égypte pour abriter sa famille.
Travailleur honnête et scrupuleux il transmet à son fils Jésus son métier de charpentier – un aspect qu’au 20è siècle, certains milieux ou gouvernements cléricaux voudront privilégier en substituant la St Joseph (19 mars) à la Fête du Travail du 1er mai.
Et surtout, en ces temps de mortalité galopante, une tradition issue d’Italie qui veut que Joseph reçoit une mort douce assisté de Jésus et de Marie, se développe en France à partir du 17è siècle pour faire de lui le patron des agonisants et de « la Bonne mort ». Sans doute est-ce cet aspect rassurant qui explique la vogue de Joseph dans les prénoms des petites filles.