Percer un tunnel par les deux bouts à la fois ou de DEAUCOURT à DAUCOURT
Percer un tunnel par les deux bouts à la fois, genre Bourvil et Belmondo dans Le Cerveau c'est donc ce qui m'est arrivé dans mes débuts de généalogiste amateur, à mon insu de mon plein gré. J'ai eu de la chance: je suis retombé sur mes pieds , sans même me rendre compte du bourbier dans lequel j'avais failli m'enfoncer.
Tout a commencé fort classiquement au centre Georges-Besnier à Arras, près de la préfecture. Rituel d'inscription, plongée dans les répertoires, prise en main des lecteurs de micro-films. Il faut se bagarrer avec des bobines parfois enroulées à l'envers et des films rayés ou couverts de poussières diverses. J'ai décidé pour mes premiers pas de m'attaquer à la branche paternelle, celle des DEAUCOURT. Ce nom que je porte m'a toujours intrigué, car il est peu courant, malgré son allure banale. Avec application, j'essaie de remonter les générations. Paradoxe: pour moi, le plus difficile, c'est le passé récent, car à la suite de brouilles familiales papa n'avait aucun papier de famille: seulement quelques souvenirs que j'avais un jour réussi à lui arracher . Or pour les 75 dernières années, la législation bride la curiosité et faute de renseignements précis fournis par la mémoire familiale, je dois me rabattre sur les tables décennales sans pouvoir consulter les actes complets. Autre obstacle: entre Bavincourt où papa est né et Saulty le village voisin où je sais que l'arrière grand-père ( dont j'ignore même à ce moment-là le prénom) est enterré, pas facile de repérer le lieu des actes principaux -naissances, mariages, décès- des différents protagonistes de la lignée DEAUCOURT dont les prénoms sont répétitifs : Auguste, Constant, Constant-Auguste, Augustin etc.... Dans ce flou, sont d'un grand secours, heureusement, les recensements (même les très récents sont consultables) qui décrivent la composition des familles et donnent dans les "bonnes" années date et lieu de naissance.
Ma grande chance aussi, c'est la rareté du nom Deaucourt porté par une seule et même famille dans le Pas-de-Calais je m'en rends vite compte et c'est une caractéristique - ou une conviction intime- qui m'aura boosté tout au long de mes recherches. Il y a bien sûr d'autres DAUCOURT, Mgr Gérard Daucourt par exemple, mais ils sont originaires de Franche-Comté. Pas besoin de s'escrimer à distinguer ma branche de branches complètement indépendantes comme lorsque j'aurai à affronter les Leclercq, les Lebas,ou les Froment.
Une belle prise
C'est l'acte de décès de l'aïeul Augustin-Denis mort précocement à 43 ans le 2 mai 1865 à Saulty (AD 62 Saulty 5MIR 784/2 vue 1474). Pour une fois, le secrétaire de mairie mentionne les parents et le lieu de naissance du défunt, et nous voilà transportés le 31 mars 1822 sous la Restauration à Beaufort (encore indépendant de Blavincourt) tout près du chef-lieu de canton, Avesnes-le-Comte. On est à deux heures de marche de Saulty
Augustin-Denis Deaucourt est donc né là de François-Marie Deaucourt, qui semble encore en vie en 1865 et de Joséphine Caron déjà décédée à ce moment-là.
Avec tous ces renseignements, j'étais bien parti pour remonter le temps et la lignée. C'était trop simple apparemment. Voilà que pour me changer les idées et me dégourdir les jambes, j'abandonne le lecteur de microfilms et les Mormons pour fureter dans les rayons qui jouxtent les répertoires de microifilms. Je tombe sur des relevés effectués par des bénévoles des cercles locaux de généalogie. Et voilà sous mes yeux une pépite: les DAUCOURT de Wailly. La tentation est trop forte: abandonnés Augustin-Denis et Beaufort-Blavincourt; tout nouveaux tout beaux ces dépouillements , à vrai-dire très arides, mais bien commodes. Je plonge dans les rouleaux de Wailly en compagnie de l'ancêtre DAUCOURT que les relev&s des bénévoles m'ont livré, Antoine Jean-Michel maître cordonnier entre 1720 et 1760 dans ce village de "jardiniers" voués aux cultures maraîchères destinées à nourrir Arras à deux lieues de là . Le piège, en fait . Me voilà assailli par la marmaille innombrable que lui a donnés Marie-Claire Dinoire tous les deux ou trois ans. Onze enfants - sans compter un aîné fruit d'un premier mariage .Tous vivants car Marie-Claire connaît les règles d'hygiène élémentaire: elle est sage-femme jurée. D'emblée, l'arbre que j'esquissais à coups de post-it prend une ampleur monstrueuse. Si au moins la Faucheuse habituellement moins regardante en emportait quelques uns. Mais non. Ils se marient tous et ont à leur tour des enfants. Me voilà mal parti pour retrouver le grand-père de mon François-Marie auquel je me mets à repenser après l'avoir complètement oublié. Mais je m'obstine à faire l'inventaire de tous ces DAUCOURT de Wailly sur lesquels je suis tombé par hasard. Qui parmi les cinq ou six enfants mâles d'Antoine Jean-Michel va me conduire à François-Marie? Est-ce que d'ailleurs je suis bien sûr d'avoir inventorié toute sa progéniture mâle? Aux innocents les mains pleines: je décide de m'intéresser à Liévin premier garçon à naître après deux filles et c'est le bon! La chance encore: il se marie avec une fille de Wailly et leur 4ème enfant est un garçon- leur seul fils vivant- prénommé Augustin-Denis. Justement comme le fils de François-Marie. Suis-je sur la bonne piste? Oui: Augustin-Denis se marie à Wailly en 1792 et en l'an IV naït un certain François-Marie. Vérification faite sur l'acte de mariage à Beaufort (j'aurais pu depuis longtemps y avoir recours), c'est bien du même François-marie qu'il s'agit, et d'ailleurs son témoin est un beau-frère natif de Wailly comme lui. Les deux sont couvreurs en paille et c'est sans doute au hasard des chantiers qui le conduisent d'un village à l'autre aux environs d'Arras qu'il a trouvé femme à Beaufort. Ouf, je suis retombé sur mes pieds après m'être conduit comme un sot. J'ai perdu bien du temps en travaillant n'importe comment mais finalement me voilà entouré de toute la tribu DAUCOURT-DINOIRE En revanche, lorsque plusieurs années après je chercherai le lieu et la date de son décès, la chance m'aura quitté: il me faudra me livrer à une battue fastidieuse dans tous les villages alentour avant de le découvrir chez sa fille à Wanquetin, à mi-distance de Wailly et de Beaufort